Le salafisme : c’est quoi exactement?

Qu’est-ce que le salafisme ? Petite synthèse sur ce mouvement fondamentaliste.
Le drapeau salafiste, sur lequel est écrit : « Il n’y a de dieu que Dieu et Muhammad est son prophète. »

Le drapeau salafiste, sur lequel est écrit : "Il n'y a de dieu que Dieu et Muhammad est son prophète."

On appelle fondamentalisme, ou intégrisme, l’aspiration à retourner aux sources originelles, donc supposées « pures », d’une religion qui, avec le temps, s’est altérée. Le retour aux « fondements » de la religion, à l’« intégrité » et à l’« intégralité » du texte a pour corollaire le refus du progrès et la hantise du changement. Le salafisme est donc un fondamentalisme. Le mot provient de l’arabe « salaf al-salih » qui signifie « pieux ancêtres » et fait référence à Mahomet et aux deux premières générations de califes qui lui ont succédé. Aux yeux des salafistes, il s’agit du « véritable » islam. Tout ce qui a suivi est à rejeter.

De Ibn Hanbal au wahhabisme

La doctrine salafiste s’est forgée au fil des siècles grâce à l’apport de plusieurs penseurs, à différentes époques. Le premier s’appelle Ahmed Ibn Hanbal (780-855), fondateur du courant qui porte son nom, le hanbalisme, l’une des quatre écoles juridiques de l’islam sunnite. Il défend d’interpréter le Coran car cela risquerait de mener à des innovations (bidaa en arabe) qui sont pécheresses par nature. Ibn Hanbal exige donc une compréhension littéraliste et très stricte des textes sacrés. Son credo ? Mahomet est l’exemple à suivre. C’est le sens du verset coranique « Vous avez dans le prophète de Dieu un bel exemple » (33, 21).Les enseignements de Ibn Hanbal sont repris quatre siècle plus tard par un théologien du nom de Taqî al-Dîn Ibn Tamiyya (1263-1328). Sa haine de l’innovation se traduisit par exemple par la condamnation du culte des saints. Il appela à mener le jihad contre les ennemis extérieurs (les Mongols) et intérieurs (les doctrines différentes de la sienne, considérées comme des hérésies) de l’islam.

Surtout, le salafisme devint une réalité politique avec le wahhabisme. Ce mouvement politico-religieux né dans la péninsule arabique au XVIIIe siècle tire son nom de l’un de ses deux chefs, le prédicateur Abd al-Wahhab, né en 1703, qui entendait revenir à un islam pur et ne prendre en considération que les opinions formulées par Mahomet et ses premiers successeurs. En bons fondamentalistes, les wahhabites édictèrent des règles extrêmement sévères (port obligatoire de la barbe, interdictions de visiter d’autres tombeaux que celui de Mahomet, interdiction de la musique, du tabac, des minarets, des décors dans les mosquées, lapidation des femmes adultères, amputation des mains des voleurs…). Chassé de sa ville natale en raison de ses positions archaïques, Abd al-Wahhab trouve refuge près de Riyad où le guerrier Mohammed Ibn Séoud (ou Saoud) scelle une alliance avec lui en 1744 afin de construire un État. Le mouvement wahhabite réalise l’unité des tribus arabes par la force et la guerre sainte (le jihad), bâtissant un premier État fondamentaliste où sont dévastés les lieux saints « contaminés » par tout ce qui n’est pas jugé conforme à l’islam et exterminées toutes les personnes ne vivant pas selon la charia. Ce premier État est vaincu au début du XIXe siècle, à la demande de l’empire ottoman, par son vassal Mehmet Ali.

Cependant, les wahhabites s’obstinent et reforment, entre 1820 et 1875, un État dont la capitale est Riyad. De nouveau écrasé par un allié des Ottomans, il faut attendre 1932 pour qu’Abdel Aziz Ibn Séoud (1880-1953) se proclame roi d’un troisième royaume d’Arabie qui va dès lors porter son nom : Arabie Séoudite (ou Saoudite). Grâce à son pétrole, ce royaume fondamentaliste tente d’exporter la doctrine wahhabite dans le monde entier et finance les groupes terroristes islamistes. Le wahhabisme est ainsi devenu la force principale dans la péninsule arabique, ainsi que la référence de tous les mouvements salafistes contemporains.

Des quiétistes aux djihadistes : unité et divergences entre les mouvements

Ces mouvements salafistes se divisent en de nombreuses chapelles mais on peut les regrouper en trois principaux courants. D’abord le courant quiétiste : passif, le croyant refuse d’intervenir dans le champ politique. C’est un courant non violent qui prône la réislamisation des sociétés musulmanes par le bas.

Ensuite le djihadisme, né en Afghanistan dans les années 1980, se propose de mener la « guerre sainte » contre les impies et les mauvais musulmans pour réinstaurer le Califat. C’est le cas de Daech, qui a proclamé il y a un peu plus d’un an le Califat et qui a bâti un véritable État, à cheval sur la Syrie et l’Irak, avec ses lois, son économie, son drapeau, sa monnaie, ses finances, son armée… Au Mali, les salafistes du groupuscule Ansar Dine, qui signifie « Partisans de la foi », ont lancé une offensive en janvier 2013 depuis le nord du pays contre le sud afin d’instaurer la charia sur la totalité du territoire malien. Le groupe tunisien Ansar al-Charia — « Partisans de la charia » — se livre lui aussi au djihadisme. Il a été fondé par un ancien compagnon de Ben Laden, Abou Iyadh. Comme d’autres groupes salafistes, il a pu prendre son essor avec la bénédiction du gouvernement de Rached Ghannouchi, leader islamiste d’Ennahdha, la branche tunisienne des Frères musulmans.

Enfin, le salafisme politique s’inscrit dans une logique de conquête du pouvoir par les urnes. En Égypte, le parti salafiste Al-Nour — « Parti de la lumière » — a obtenu 24 % des sièges aux élections législatives de 2011-2012, juste derrière les Frères musulmans. Il est ainsi devenu la deuxième force politique du parlement égyptien. Il a aussi participé à l’éviction du pouvoir du président Morsi en juillet 2013.

Ce qui unit tous ces courants, c’est une série d’attitudes. Par leur existence et leur visibilité, les salafistes rappellent les égarés à l’authenticité du message coranique. Ils forment ensuite un modèle d’orthopraxie, c’est-à-dire un ensemble de règles et de comportements à respecter pour être conformes à l’islam « véritable ». Ils sont, en conséquence, dans une forme de résistance à un environnement hostile — la mécréance, l’impiété. Le salafiste est enfin « étranger à son pays et à son époque ». [1] Tous les salafistes ont en commun cette aspiration utopique à retourner à une époque bénie où l’islam « pur » régnerait. Enfin, ils considèrent que les juifs, les chrétiens et les athées sont dans l’erreur. Aucun dialogue n’est donc possible avec eux.

Les moyens mis en œuvre pour retourner à l’âge d’or de l’islam des premiers temps sont, on l’a vu, différents d’un courant à l’autre, ce qui explique des divergences de vues notables. Un point sensible est l’hijra, ou exil en terre musulmane. Pour les quiétistes, nul besoin de fuir les pays « impies » pour vivre conformément aux préceptes salafistes, au contraire : c’est même une preuve à la fois d’indifférence au monde environnant et d’héroïsme. Ainsi, à Creil, une école élémentaire musulmane a pour but d’« éviter les contacts avec la société impie et de préparer les enfants à vivre en terre musulmane » [2] Au contraire, aux yeux des djihadistes, les quiétistes incitent à s’intégrer en terre impie qu’il faut au contraire fuir. Comme le signalait un jeune djihadiste sur Facebook, Abou Souleymane : « Je préfère que ma femme meure avec gloire sous les bombardements au Cham plutôt qu’elle vive humiliée dans un bled de kaffir [infidèles] » [3] On constate finalement une nette différence entre les quiétistes, dont les préoccupations sont tournées vers la vie quotidienne, et les politiques et djihadistes qui entendent changer de société par l’action pacifique ou violente.

Les salafistes sont des islamistes

L’obligation du jihad, cette volonté de mener la « guerre sainte » aux ennemis de l’islam (Occident, artistes, intellectuels, mauvais musulmans…) vient tout droit de Sayyid Qutb, l’idéologue de la confrérie des Frères musulmans. Pour Qutb, en effet, le jihad doit permettre de convertir la terre entière à l’islam, de libérer les zones non musulmanes de l’état d’ignorance où elles se trouvent. Et seule une avant-garde parvenue à retrouver le vrai islam est apte à mener cette guerre. La violence devient ainsi, pour Qutb, un outil de libération. Lorsqu’il est exécuté en 1966, les fondamentalistes quittant la confrérie fondent des organisations salafistes, comme la Gamaa al-Islamiya en Égypte par exemple, qui s’appuieront sur ses textes. Au fond, il n’y a pas de différence doctrinale entre les Frères musulmans, qu’ils soient égyptiens, tunisiens ou turcs, et les salafistes.

Ces derniers, quand ils ne sont pas quiétistes, appartiennent donc à l’islamisme. Ils recouvrent ainsi le clivage entre islamisme dit « modéré » et islamisme dit « radical », entre ceux des islamistes qui visent la conquête du pouvoir par les urnes — Al-Nour, Parti Liberté et Justice (parti des Frères musulmans) en Égypte, Ennahdha en Tunisie, AKP en Turquie… — et ceux qui usent de la violence — Arabie Saoudite wahhabite, l’Iran issu de la révolution islamique de 1979, Hamas, Daech, Al-Qaïda, Boko Haram… Tous ont en commun le même projet totalitaire de Califat islamique mondial.

Notes [1] Godard, Bernard, La question musulmane en France, Paris, Fayard, 2015.

[2] Ibid.

[3] Ibid., p. 210.

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