Lolita de Stanley Kubrick : exaltation d’un désir

Quand le professeur Humbert découvre la maisonnée qu’il s’apprête à rejoindre, le trouble l’assaillit doublement. La maîtresse des lieux est une veuve infortunée et entreprenante, manifestement pressée de vérifier si son appareil biologique fonctionne aussi bien qu’autrefois. Sa fille Lolita est une nymphette âgée de quatorze ans, qu’il observe, abasourdi, allongée sur l’herbe dans une posture lascive, en bikini et chapeau de plumes. De cette première rencontre naît un désir inexpiable : l’honorable universitaire emménage, puis conclut un mariage de façade, dans le seul espoir de côtoyer librement l’ingénue perverse qui lui servira désormais de belle-fille. Une quête érotique et obsessionnelle qui ne manquera pas d’armer le courroux des milieux puritains, à une époque où le code Hays poursuit un déclin inexorable.

La modeste demeure de la famille Haze, sise dans le New Hampshire, devient alors peu à peu le théâtre des non-dits, des suggestions et des fantasmes. « Vous allez prendre ma reine », y affirme-t-on dans une allusion à double sens qui préfigure l’ensemble des enjeux à venir. Le regard chargé de lubricité et de paranoïa, James Mason prête ses traits les plus inquiétants au professeur Humbert, quinquagénaire dévitalisé aux bras bien trop affectueux. Sa passion interdite, scrupuleusement notifiée dans un journal intime, se révélera au grand jour à la faveur d’une crise de jalousie incontrôlée. De bout en bout, Stanley Kubrick et Vladimir Nabokov malmènent ainsi leur héros, manipulé, écorné, esseulé et bientôt sans rivages.

Au moment de tourner Lolita, Stanley Kubrick n’a pas le quart de l’aura qu’il possède aujourd’hui. C’est une sorte de paria à Hollywood, qui se remet à peine d’un douloureux sentiment de dépossession, éprouvé à l’occasion de la superproduction Spartacus. Il choisit de s’exiler en Angleterre pour s’affranchir des ligues puritaines et contourner la censure. Malgré ces précautions, il ne peut traiter qu’à la marge son sujet principal – la pédophilie. En conséquence, son adaptation de Vladimir Nabokov s’appréhende avant tout comme un témoignage, tragicomique, des nombreuses ambivalences de la société américaine, personnifiées par le personnage de Charlotte Haze (Shelley Winters), piètre mère, femme naïve et cynique, implicitement érigée en ambassadrice d’une classe moyenne aux repères brouillés.

Teinté d’ironie, parfois à la lisière de l’absurde, Lolita a tout d’une farce cruelle se nourrissant des multiples névroses de ses protagonistes – paranoïa, hystérie, luxure, égocentrisme, monomanie, imposture… On y mêle le raffinement et les bas instincts, la possessivité et le meurtre, les équivoques et les moments troubles, dans de longs plans ininterrompus. En introduisant son oeuvre par un lendemain d’orgie sanglant, Stanley Kubrick donne le la et se love, avec le métier qu’on lui connaît, dans une folie à décantation lente. Le tout se voit en outre agrémenté d’un duel à distance qui ne dit pas son nom, permettant à Peter Sellers d’exprimer la pleine mesure de son talent – et, mine de rien, de s’imposer au casting de Docteur Folamour.

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