Visite guidée de « L’Atelier » de Gustave Courbet

L’Atelier du peintre, réalisé par Gustave Courbet en 1854-1855, reste probablement son œuvre la plus énigmatique. L’abondante littérature scientifique qui lui est consacrée donne la mesure de son importance, mais aussi des mystères qui continuent d’entourer sa signification. Actuellement en cours de restauration en partie grâce au mécénat participatif – dans une cage de verre qui permet aux visiteurs du musée d’Orsay de suivre les travaux en temps réel – , L’Atelier vient de susciter une initiative originale, née d’un partenariat entre le musée et Orange.

Le site Internet www.entrezdanslatelier.fr propose en effet à chacun, depuis son ordinateur ou, in situ, depuis une tablette, de naviguer librement dans le tableau aux dimensions monumentales (3,61 x 5,98 m). Des pages, destinées à évoluer, retracent son histoire, mais la page principale va plus loin. Grâce à la technologie de la réalité augmentée, on peut, en cliquant sur une douzaine des personnages représentés, entendre ceux-ci s’exprimer. Les textes, qui renvoient souvent aux autres personnages, aux objets qui figurent dans la toile ou à diverses références (peintures, gravures, etc.), constitués à partir de documents, de travaux d’historiens et de la riche correspondance du peintre, fournissent aux internautes des clés de compréhension à travers une approche interactive, pédagogique et ludique.

Si, sur le côté droit de l’œuvre, la plupart des protagonistes sont bien connus puisqu’ils appartenaient au monde de l’art des années 1850 (Baudelaire, Champfleury, Alfred Bruyas, Apollonie Sabatier, etc.), ceux situés à gauche, « les exploiteurs et les exploités » supposés anonymes, font l’objet d’hypothèses d’identifications, sur la base des travaux fondateurs d’Hélène Toussaint publiés dans le catalogue de la rétrospective Courbet de 1977. C’est ainsi, notamment, que le Juif portant une cassette pourrait figurer le ministre Achille-Fould, que, derrière le Républicain de 93, se dissimulerait Lazare Carnot, que le croque-mort serait le patron de presse Emile de Girardin et le braconnier rien moins que Napoléon III.

Beaucoup d’énigmes demeurent toutefois ; plusieurs lectures du tableau, livrées par différents historiens, cohabitent, s’opposent ou se complètent – lectures maçonniques, proudhoniennes, allégoriques (l’artiste ne l’avait-il pas lui-même qualifié d’un bel oxymore, « allégorie réelle » ?)… Une fois la toile entièrement restaurée, s’ouvriront certainement d’autres perspectives, qui dépasseront celle du manifeste réaliste.

De nouveaux documents émergeront, qui nous aideront à apporter de futurs éclairages, comme cette toile inédite que j’ai récemment découverte et sur laquelle je travaille, version à l’huile dans un cadrage plus large d’une gravure d’Henri Valentin, Intérieur d’un atelier d’artiste au XIXe siècle (1849, possiblement inspirée de L’Atelier d’Horace Vernet exécuté trente ans auparavant) dont il existe aussi une aquarelle (intitulée L’Atelier de Clésinger).

Les spécialistes s’entendent à voir dans la gravure une source très probable utilisée par le maître-peintre d’Ornans pour la composition de son tableau – comme le modèle nu debout à la droite du peintre aurait été exécuté d’après une photographie d’époque. On y trouve en effet des similitudes nombreuses et troublantes, qui se rapportent bien entendu à des détails (chat, médaillon de plâtre, chapeau, guitare, sculpture, crâne, table, tableau sur chevalet, livres…), mais aussi à certains personnages de l’entourage de Courbet, présents dans les deux œuvres. On s’interrogera même sur le curieux bonnet que porte le peintre situé à gauche de la toile, que l’on retrouve dans L’Artiste à son chevalet, autoportrait réalisé par Courbet vers 1848, aujourd’hui conservé au Harvard Art Museum.

« Comprenne qui pourra », avait écrit l’artiste de son Atelier, chef-d’œuvre qui, on le voit, est loin d’avoir encore livré tous ses secrets.

Illustrations : Gustave Courbet, L’Atelier du peintre, 1854-1855, huile sur toile, © Photo RMN-Grand Palais – H. Lewandowski – Anonyme, L’Atelier de Clésinger, circa 1849, huile sur toile, © Photo Thierry Savatier.

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