Attentats: le réflexe du repli sur soi en Europe

Publié le : 11 septembre 20188 mins de lecture

Daech a enfoncé un coin dans la fragile solidarité que les Européens ont jusque-là réussi à maintenir face à la crise des réfugiés. Dès le lendemain des attentats de Paris et avant même que l’on découvre qu’un ou plusieurs terroristes étaient de faux demandeurs d’asile syriens arrivés en Europe via la Grèce, les populistes de Droit et Justice (PiS), qui viennent de gagner les élections en Pologne, ont tiré le rideau de fer.

Pour Konrad Szymanski, le ministre des Affaires européennes, il n’est plus question de respecter l’accord prévoyant la répartition de 160.000 demandeurs d’asile, car « la Pologne doit garder le contrôle complet de ses frontières, ainsi que de sa politique d’asile et d’immigration ». Les populistes polonais se sentent en guerre contre les musulmans, comme l’a déclaré sans complexe Witold Waszczykowski, le ministre des Affaires étrangères : « il faut approcher de manière différente la communauté musulmane qui vit en Europe et qui hait ce continent, qui veut le détruire ». Une islamophobie et un nationalisme sans complexe qui fait écho à ceux affichés par la Hongrie, la Slovaquie ou encore la Tchèque. Lundi, après avoir prêté serment, Waszczykowski a fait marche arrière en promettant de respecter l’engagement pris par le précédent gouvernement libéral d’accueillir 9000 réfugiés syriens puisqu’il s’agit d’une loi européenne. Néanmoins le ton est donné.

La générosité face à l’afflux de réfugiés prônée à la fois par Angela Merkel, la chancelière allemande, et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, parait désormais passée de mode. Déjà, le plan de relocalisation de 160.000 demandeurs d’asile syriens, irakiens et érythréens proposé par la Commission afin de soulager les pays de premier accueil n’a été accepté qu’aux forceps, en octobre dernier : il a fallu que les ministres de l’Intérieur, pour la première fois dans le domaine sensible de l’immigration, votent à la majorité qualifiée pour l’imposer aux pays récalcitrants d’Europe de l’Est. La Pologne, alors gouvernée par les libéraux, s’y était finalement ralliée du bout des lèvres, celle-ci s’étant jusque-là contentée d’accueillir une centaine de Syriens… chrétiens. Mais la quasi-totalité des Vingt-huit ont ensuite refusé, à la grande colère de l’Allemagne, d’adopter le système de répartition permanent comme le proposait la Commission. Pour ne rien arranger, les relocalisations se font depuis au compte-goutte, les États trainant des pieds : moins de 150 personnes ont ainsi été jusqu’à présent transférées d’Italie et de Grèce. « Si nous continuons à ce rythme, on en aura terminé en 2101 », a ironisé la semaine dernière Jean-Claude Juncker. La Hongrie a décidé, aujourd’hui, d’attaquer devant la Cour de justice de l’Union européenne le système de relocalisation en l’estimant contraire au principe de subsidiarité.

Autant dire qu’après les attentats de Paris, beaucoup de pays, et pas seulement la Pologne, vont y regarder à deux fois avant d’accueillir chez eux des réfugiés désormais perçus comme de potentiels terroristes. Si le système de relocalisation vole en éclat, toute la charge des réfugiés pèsera sur les pays de la ligne de front, en clair la Grèce et l’Italie. Or, pour ne rien arranger, Angela Merkel a effectué un virage sur l’aile vendredi en annonçant que l’Allemagne allait de nouveau appliquer le règlement de Dublin III qui prévoit que les demandes d’asile doivent être déposées dans l’État européen d’arrivée, un système qu’elle avait suspendu en ouvrant grand ses frontières aux Syriens et aux Irakiens… Ce qui revient en fait à laisser la Grèce et l’Italie se débrouiller avec les réfugiés et les migrants, alors que tous les gouvernements savent qu’elles sont incapables de contrôler leurs frontières extérieures.

Dans le même temps, afin de contrôler ou endiguer l’afflux de réfugiés et de migrants, la plupart des pays de l’espace Schengen ont rétabli des contrôles à leurs frontières intérieures, comme l’Allemagne et la Suède, sans parler des pays qui ont érigé des murs tant aux frontières extérieures de Schengen qu’intérieures (Hongrie, Croatie, Slovénie, Autriche). Après les attentats de Paris, la France a suivi pour des raisons de sécurité, ce qui devrait renforcer la détermination de ses partenaires de maintenir leurs propres contrôles afin de rassurer leur population.

Si ce retour des frontières intérieures est tout à fait légal (la Commission vient d’ailleurs de valider les contrôles allemands et suédois), il est clair que la tentation du chacun pour soi n’a jamais été aussi forte au risque de mettre à bas Schengen et la politique commune d’asile et d’immigration. Or, contrairement à ce que prétendent les populistes, celles-ci instaurent davantage de sécurité en mutualisant le renseignement (système commun de visas, enregistrement des empreintes des demandeurs d’asile via le fichier Eurodac, Système d’information Schengen, un fichier listant notamment les personnes recherchées, coopération policière via Europol, etc.). Un retour des frontières signerait la mort de cette coopération, puisque ce serait le retour au chacun pour-soi pour le plus grand bonheur de Daech. Sans compter les conséquences économiques: le transport de marchandises serait perturbés ainsi que l’emploi des transfrontaliers (plus de 350.000 personnes rien que pour la France).

Or, tous les responsables européens savent qu’il faut au contraire une coopération maximale entre pays européens, tant en matière d’asile et d’immigration que de sécurité. C’est bien la voie que veut emprunter la France qui vient d’obtenir la convocation d’une réunion extraordinaire des ministres de l’Intérieur, le 20 novembre, afin d’accélérer l’adoption d’un PNR européen (un fichier regroupant toutes les données des voyageurs aériens), de renforcer la lutte contre le financement du terrorisme et le trafic d’armes, d’accroitre l’échange de renseignements et d’assurer un contrôle effectif des frontières extérieures de l’Union.

JEAN QUATREMER

N.B.: version longue et mise à jour de l’article paru dans Libération du 16 novembre

REUTERS/Vincent Kessler

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