Cadrer l’infini

Publié le : 11 août 20216 mins de lecture

Un opéra spatial. Le vertige de l’affranchissement. Avec 2001 : l’Odyssée de l‘espace, Stanley Kubrick se donne les moyens de ses ambitions. Il laisse fermenter ses idées les plus exubérantes et matérialise sans détour sa mégalomanie créatrice. Son côté formaliste l’invite à aligner ostensiblement les plans vertigineux, les renversements de perspective et les mouvements de caméra élaborés en orfèvre. Son penchant naturel pour le cinéma d’auteur le conjure d’offrir enfin à la science-fiction ses lettres de noblesse, de concilier le pénétrant et l’impénétrable, de renouer avec l’esprit des contes fondateurs de Jules Verne et Herbert George Wells.

Morceler son récit. Toucher la quintessence du bout des doigts. Se hisser cent coudées au-dessus de la concurrence. Kubrick ne se contente pas de déployer benoîtement sa virtuosité, il redéfinit les rouages de la machinerie cinématographique, et marque l’inconscient collectif au fer rouge. Segmenté en quatre actes bien distincts, 2001 : l’Odyssée de l‘espace met un sens consommé de l’épique au service d’un voyage dans le temps, s’amorçant dès l’aube de l’humanité pour se conclure en 2001, dans le sillage d’un indicible monolithe noir.

L’indémodable

L’expressionniste Metropolis (1927) avait déjà, en son temps, opéré un aggiornamento salvateur. Par inventivité et opulence de moyens. Stanley Kubrick frappe son œuvre du même sceau, entremêlant avec doigté iconoclasme d’envergure et tissu romanesque de velours. 2001 : l’Odyssée de l‘espace, c’est une armée entière sur le pied de guerre : sept mois de tournage, deux ans de postproduction, le concours de la NASA, des hordes de décorateurs, de techniciens et d’experts scientifiques. Un trip sensoriel froid et fascinant épousant une abstraction paroxystique. Des maquettes sophistiquées, avant-gardistes, cultivant un éblouissement visuel de tous les instants.

Orgie aromale, débauche de formes et de couleurs, cette expérience unique en son genre maintient de bout en bout une étreinte puissante sur les sens. Le vaisseau Discovery y apparaît titanesque, olympien, d’une beauté saisissante. La bande-son n’est rien de moins qu’un envoûtement permanent, capable de transcender les images, de tenir lieu de dialogues, de doubler chaque couture d’un spectacle forcément sensationnel. Ballet spatial sublimé par les effets spéciaux de Douglas Trumbull, oscarisé pour la cause, 2001 : l’Odyssée de l‘espace semble aujourd’hui encore échapper à l’empreinte du temps, et à tout effet de mode.

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Valse mécanique

Vous l’aurez compris, Alfonso Cuarón n’a pas l’apanage des prouesses cosmiques. En 1968, pétri d’une assurance narquoise, l’implacable Kubrick immortalise déjà, avec éclat, la valse orbitale des stations et des navettes. Non content d’élargir le cadre hors de toute proportion humaine, il porte le slit-scan au firmament et éclabousse de sa virtuosité une séquence psychédélique implantée à un jet de pierre de Jupiter. Sa séance de footing dans l’habitat circulaire du Discovery s’éprend d’une liberté frondeuse, brille de mille feux, et renferme plus d’idées de mise en scène que toute la filmographie d’un artificier hollywoodien moyen. De quoi chasser sur les terres des plus grands. Énième tour de force d’un joyau qui les compte par légions : un raccord devenu anthologique, où le premier outil de l’humanité (un os) se mue soudainement en un satellite flottant dans l’espace, dans une stricte concordance des trajectoires. Qui trouverait à y redire ?

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Interprétations inépuisables

Irréductible Stanley Kubrick. Funambule de l’image, cinéaste-plasticien absolu, il n’en sollicite pas moins l’intellect et la sensibilité, rejetant tout schématisme et toute lecture prémâchée. Écheveau elliptique et touffu, 2001 : l’Odyssée de l‘espace, coécrit par Arthur C. Clarke, fusionne les thèmes de l’évolution, de la technologie, de l’intelligence artificielle, de la vie extra-terrestre, de la décadence ou encore de la métaphysique. Débordant toutes les frontières, laissant foisonner les ambiguïtés, ce monument indéchiffrable échappe aux canons conventionnels et ne s’expose qu’à la logique expérimentale revendiquée par son architecte-bâtisseur. Une énigme en mouvement.

Le monolithe est-il un symbole divin ?  Quid du fœtus astral ?  Comment interpréter la nature ambivalente de HAL 9000, ordinateur humanisé supposément infaillible, magistralement inquiétant, et potentiellement paranoïaque ?  Alors même qu’il flirte tour à tour avec la théologie, la philosophie et la psychologie, Stanley Kubrick amorce des intrigues à double sens et brise la boussole explicative. Ne reste alors qu’une angoisse irraisonnée qui se cristallise lentement. Une poésie picturale aux confins de l’inaccessible.

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