Gorbatchev, le début de la fin de l’URSS

Dernier chef de l’URSS, il a voulu libéraliser un régime non libéralisable. Il en est devenu bien malgré lui le liquidateur, avec cet exploit historique d’avoir évité de terribles répressions dans le sang lors de la chute de l’empire soviétique. Cela lui a valu le Prix Nobel de la Paix en 1990.

Il y a trente ans exactement, Mikhail Gorbatchev devenait, le 11 mars 1985, Secrétaire Général du Parti communiste d’Union Soviétique (PCUS), soit le poste politique le plus important de toute l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS).

Son arrivée, encouragée initialement par son parrain Youri Andropov (mort en février 1984), a donné un air de renouveau après la succession de gérontocrates pendant deux ans et demi, à la suite de Leonid Brejnev. À tout juste 54 ans, Mikhail Gorbatchev a conquis le pouvoir suprême, grâce à la complicité de l’inamovible Andrei Gromyko, et il comptait bien réformer le système soviétique qu’il avait compris sclérosé et inanimé, tant économiquement que politiquement. Forte ambition.

Cela a donné de nombreuses réformes, tant au niveau institutionnel (avec la création, à la fin, d’un véritable Président de l’Union Soviétique sur le modèle américain) qu’au niveau international avec une nouvelle détente : accord avec Ronald Reagan sur les armes nucléaires (au Sommet de Washington du 8 décembre 1987), désengagement militaire d’Afghanistan le 16 mai 1988, libération du physicien Andrei Sakharov en décembre 1986, autorisation de publication de « Docteur Jivago » de Boris Pasternak en novembre 1985, et évidemment, chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, etc.

La « gorbymania » a tellement bien « pris » en Europe occidentale que le plus fervent soutien de Gorbatchev fut… Margaret Thatcher ! Le style très moderne du nouveau dirigeant soviétique (son épouse Raïssa très photogénique, etc.) apportait un nouveau souffle à un régime d’une autre époque, issu de Lénine et Staline. Ses deux maîtres mots furent perestroïka (restructuration) et glasnost (transparence).

Faisons un bond de six ans et demi. Pendant tout son mandat, Mikhail Gorbatchev a dû composer tant avec une aile réformatrice (qui se trouva rapidement un leader en la personne de Boris Eltsine, rival personnel de Gorbatchev au sein du PCUS), qu’avec une aile conservatrice, très inquiète du projet d’autonomie des républiques soviétiques proposées par le Kremlin. Cela a conduit au putsch manqué de Moscou du 19 au 21 août 1991 et en quelques mois, à la mort définitive de l’Union Soviétique.

Comment imaginer qu’une dictature qui avait duré trois générations ait pu se déliter aussi rapidement, en à peine six mois ?

Le 19 août 1991, Gorbatchev fut enfermé dans sa datcha de Foros, en Crimée (où il était en vacances depuis le 4 août) par l’armée et un comité de salut public annonça à Moscou que pour raison de santé, Gorbatchev quittait le pouvoir et laissait place à une sorte d’oligarchie pas très bien préparée.

Il y avait urgence : le lendemain, Gorbatchev devait signer un nouveau traité de l’union (Union des républiques souveraines soviétiques) qui remettait en cause la toute puissance de la Russie sur les autres États de l’Union Soviétique. Une plus grande autonomie des républiques au sein d’une structure moins centralisée. La Russie avait déjà pris, comme d’autres républiques, son autonomie ; le 12 juin 1990, le congrès des députés du peuple de la République socialiste fédérative soviétique de Russie avait en effet proclamé la souveraineté de la Russie. Pressé par les conservateurs, Gorbatchev avait commencé une répression sanglante à Vilnius le 13 janvier 1991, faisant 15 morts, après la proclamation d’indépendance de la Lituanie en mars 1990, mais il avait reculé devant l’indignation internationale. À Riga aussi, les troupes soviétiques étaient présentes.

Les putschistes menés par Guennadi Ianaïev, le Vice-Président de l’URSS choisi par Gorbatchev pour calmer l’ardeur des conservateurs, furent Vladimir Krioutchkov, le chef du KGB, Valentin Pavlov, le Premier Ministre de l’URSS, Boris Pougo, le Ministre de l’Intérieur, Dimitri Iazov, le Ministre de la Défense, Oleg Baklanov, le vice-chef du conseil de sécurité, Oleg Chénine, le secrétaire du comité central et Valéry Boldin, le directeur de cabinet de Gorbatchev.

L’état d’urgence fut proclamé pour une période de six mois. La censure fut rétablie. Les chars sont arrivés en plein Moscou, sur la place Rouge. Les Russes ne comprenaient pas trop ce qu’il se passait. Les conducteurs de char non plus.

Il y a eu alors l’épisode de Boris Eltsine qui est monté courageusement sur un char. Il était déjà le chef du parlement local depuis deux ans (ou plutôt, le Président de la République socialiste fédérative soviétique de Russie élu démocratiquement au suffrage universel direct dès le premier tour le 12 juin 1991). L’armée a fraternisé avec la foule. Il a gagné ses lettres de noblesse historiques à cette occasion. Les manifestants avaient un chef. Un nouveau roi. Un nouveau tsar.

Gorbatchev et Eltsine n’avaient qu’un mois d’écart. Même génération, même ambition. L’un a été plus féroce que l’autre.

Ce que dit Gorbatchev de son rival vingt années plus tard, avec du mépris et une rancune certaine : « Il aimait le pouvoir. Il était irascible et ambitieux. (…) J’aurais dû l’envoyer ambassadeur dans une république bananière, pour qu’il y fume le narguilé. ». Gorbatchev et Eltsine sont aujourd’hui les dirigeants russes les moins appréciés des Russes (respectivement 14% et 17% de cote de popularité dans un sondage de l’institut VTsIOM en octobre 2011, alors que Poutine avait 61%, Brejnev 39% et Staline 28%).

Dans ses mémoires, Gorbatchev a raconté qu’il a eu une conversation téléphonique de sa datcha avec George WH Bush (père) : « François Mitterrand devait m’appeler, il ne l’a pas fait. ». Soutenu par Helmut Kohl, Gorbatchev a pointé du doigt l’une des plus grandes erreurs diplomatiques de François Mitterrand en ayant été le seul chef d’État à avoir reconnu les putschistes par sa lecture devant les caméras d’une lettre qu’il avait adressée à Guennadi Ianaïev.

Un documentaire titré « Les derniers jours de l’URSS » est régulièrement diffusé sur la Chaîne parlementaire (LCP), réalisé par Jean-Charles Deniau en 2011 pour le vingtième anniversaire (diffusé initialement sur France 3 le 12 décembre 2011).

Le 20 août 1991, le documentaire l’a inclus au montage, c’est assez émouvant, Gorbatchev fit un enregistrement vidéo amateur dans sa prison dorée pour dire que ce n’était pas vrai du tout, qu’il n’était pas malade et qu’il était retenu prisonnier. À peu à l’instar d’une princesse prisonnière de son donjon.

Inutile, la vidéo, car dès le 22 août 1991, l’affaire s’est délitée : les putschistes n’ont pas osé tirer sur le peuple et se sont évaporés, l’un se suicida (Pougo, qui tua aussi sa femme), la plupart furent jugés et condamnés à de la prison, mais furent amnistiés en 1994. Eltsine a définitivement gagné la partie.

Il a envoyé son propre Vice-Président, Routskoi pour ramener Gorbatchev à Moscou. Gorbatchev désormais devrait tout à son pire rival. Il est devenu son vassal. L’arrivée du maître du Kremlin sonné, en pull, hirsute, a donné au monde entier une image d’homme fini.

Le 24 août 1991 (c’est très rapide), séance officielle présidée par Gorbatchev et Eltsine. En public, Eltsine s’est levé martialement et a intimé l’ordre à Gorbatchev de signer le décret de dissolution du Parti communiste d’Union Soviétique. Ce parti qui fut la clef de voûte de l’État depuis 1922 ! Gorbatchev ne voulait pas. Il l’a signé sous la contrainte de l’index pointé, devant les caméras du monde entier. L’empire s’est écroulé comme un simple formalité administrative. Comme un château de cartes. Le vent s’est levé.

Eltsine a conclu dans son coin un nouveau pacte avec les présidents des autres républiques soviétiques, le 21 novembre 1991 à Alma-Ata, au Kazakhstan, et le 8 décembre 1991 à Minsk en Biélorussie. L’émergence de la Communauté des États indépendants (CEI). Sans les pays baltes qui avaient déjà obtenu leur indépendance complète dès septembre 1991 : depuis plus de dix ans, ces pays sont maintenant membres de l’Union Européenne (officiellement depuis le 1er mai 2004).

Il ne restait donc plus que la conclusion définitive.

Le jour de Noël 1991, Gorbatchev signa sa démission de Président de l’Union Soviétique. Par la même occasion, l’Union Soviétique était morte. Dissoute officiellement le 26 décembre 1991 par le Soviet Suprême. La RSFS de Russie est devenue la Fédération de Russie et le pouvoir suprême transféré dans les faits à Boris Eltsine.

2011 dans le documentaire. Voici Gorbatchev, avec quelques années en plus (il a 80 ans en 2011), l’ancien chef suprême, le terrible chef de l’Armée rouge, qui commentait tranquillement ses derniers jours au pouvoir. On n’imagine même pas François Mitterrand ou Jacques Chirac le faire ! Ou alors, il faudrait imaginer Khrouchtchev dire comment il a été limogé comme un malpropre !

Son témoignage pour l’Histoire est évidemment très important.

Comme Nelson Mandela, Gorbatchev a eu la possibilité de s’expliquer sur toute son existence, sur ses intentions, sur ses décisions, sur ses déceptions, sur ses réussites, etc. C’est rare au regard des historiens. Même en France, la plupart des dirigeants politiques quittent ce monde avec une grande part de secret. Sans jamais se justifier. Raymond Barre avait expliqué par exemple, peu avant sa disparition, pourquoi il n’avait pas voulu écrire de mémoires : cela représentait un travail documentaire trop épuisant pour son état de santé.

Chose plus troublante, Gorbatchev, grossi, à peine reconnaissable si ce n’est que sa tache sur le crâne aide bien, n’était pas le seul témoin de ces événements de 1991.

Il y avait l’envers du décor. Un putschiste.

Vasily Strarodoubtsev, lui aussi témoignait dans le documentaire. Comme putschiste. Auréolé d’une médaille bien visible à sa boutonnière et d’une statue de Lénine posée sur son bureau.

Strarodoubtsev, n’est pas très connu, pas la peine de chercher sur Wikipédia, il n’est pas dans la rubrique francophone. Il est mort peu après son témoignage à 80 ans. Un an plus jeune que Gorbatchev. Agronome à Novomoskovsk où il a été récompensé comme un Héros du travail socialiste, et aussi par l’Ordre de Lénine, etc. (d’où la médaille qu’il arborait dans le documentaire). Il a dû bien se débrouiller car malgré sa compromission dans le putsch raté, il s’est retrouvé sénateur de 1993 à 1996, puis gouverneur de la région de Tula de 1997 à 2005 puis député de 2007 à 2011 sous l’étiquette du parti agraire dont il était l’un des notables.

Cette échappée de paroles de tout côtés fait évidemment le bonheur des historiens. Mais la morale devrait peut-être aller se rhabiller. Les perdants aussi façonnent désormais l’histoire. Le putsch n’a été qu’une tentative fumeuse de conservation d’un régime anachronique.

Toujours vingt ans plus tard, au cours d’une longue interview dans « Rossiïskaïa Gazeta » le 15 août 2011, Mikhail Gorbatchev a reconnu avoir été informé, deux mois avant, par les Américains de la préparation du coup d’État du 19 août 1991 : « Bush [père] m’a appelé. Il tenait cette information du maire de Moscou, Gavriil Popov. (…) Je pensais qu’il fallait être idiot pour jouer son va-tout. (…) Mais malheureusement, c’étaient des idiots [les putschistes]. Et nous, nous étions des semi-idiots, y compris moi-même. J’étais épuisé. Je n’aurais pas dû partir en vacances. C’était une erreur. ».

Aujourd’hui, Mikhail Gorbatchev a 84 ans. Il reste encore assez apprécié dans les démocraties dites occidentales pour son rôle historique mais est complètement déconsidéré dans son propre pays : il est rendu responsable du démantèlement de l’empire et de la fin de la superpuissance soviétique. Le 16 juin 1996, dans une folle tentative de réhabilitation, Mikhail Gorbatchev s’était même présenté à l’élection présidentielle mais n’avait recueilli que 0,5% des suffrages exprimés, très loin derrière Boris Eltsine (35,3%), Guennadi Ziouganov (32,0%), Alexandre Lebed (14,6%), Grigori Iavlinsk (7,3%) et Vladimir Jirinovski (5,7%) sur un total de 74 387 754 votants ! Cela donne une idée de son crédit.

Vladimir Poutine, lui, dirige la Fédération de Russie d’une main de maître depuis le 9 août 1999, comme Premier Ministre ou comme Président de la Fédération, soit depuis plus de quinze ans et demi. Soit plus que la longévité cumulée de Gorbatchev et Eltsine, et pas loin de celle de …Brejnev.

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