La Commission Juncker en six visages

Publié le : 06 septembre 201813 mins de lecture

La Commission européenne, un cimetière pour retraités de la politique nationale? Il sera difficile de le soutenir, vu sa composition particulièrement relevée. Les Vingt-huit ont désigné pas moins de cinq Premiers ministres, quatre vice-premiers ministres et 19 ministres.

Et ils sont jeunes, la moyenne d’âge étant de 53 ans (55 dans la Commission Barosso), le titre de benjamine revenant à l’Italienne Federica Mogherini, 41 ans, ministre des Affaires étrangères de l’Union et vice-présidente de la Commission. Son principal défaut est de compter peu de femmes (9 sur 28) en dépit des exigences de Jean-Claude Juncker, le président élu de l’exécutif européen. Pour compenser, il leur a donné des postes importants, généralement réservés à ceux qui obtiennent un second mandat. Portrait de quelques personnalités marquantes.

La victime sacrificielle

Nommer un conservateur espagnol qui, selon El Païs, a des intérêts financiers dans l’industrie pétrolière, à l’énergie n’est pas a priori une mauvaise idée. Mais la tête de liste du Parti Populaire, Miguel Arias Canete, 64 ans, sera aussi chargé du changement climatique, ce qui risque de poser un sérieux problème… Des organisations environnementales (WWF Europe, Greenpace et les Amis de la Terre) ainsi que les Verts européens ont immédiatement dénoncé le risque de conflits d’intérêts. Son audition au Parlement européen s’annonce mouvementée, les écologistes n’ayant pas l’intention de lui faire de cadeau : Yannick Jadot, eurodéputé vert, se demande même si Juncker ne l’a pas placé là pour que le Parlement obtienne facilement une tête. Les députées européennes (37 % de l’Hémicycle) l’attendent aussi au tournant : on rappelle avec gourmandise dans les couloirs du Parlement les propos qu’il a tenus au lendemain de son débat télévisé avec la tête de liste socialiste Elena Valenciano, pour justifier sa piètre performance : «le débat entre un homme et une femme est très compliqué. Si l’on abuse de sa supériorité intellectuelle, on a l’air d’un machiste en train de coincer une femme sans défense».Des candidats commissaires y ont laissé leur peau pour moins que ça… Pour le reste, Canete affiche un impeccable CV européen : député européen de 1987 à 1999, ce juriste a présidé les commissions parlementaires de la pêche puis de la politique régionale. De même, il n’a pas à rougir de son passage au ministère de l’Agriculture (d’abord sous José Maria Aznar de 2000 à 2004, puis sous Mariano Rajoy de 2011 à 2014), il réglemente fortement le secteur agricole de son pays afin de protéger les consommateurs.

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L’homme des lobbies

En désignant le leader de la Chambre des lords, le baron Hill of Oareford, ci-devant Jonathan Hill, commissaire, David Cameron, le Premier ministre britannique n’a pas fait un cadeau à Jean-Claude Juncker. Car cet homme de 54 ans, sans expérience internationale, eurosceptique modéré (il a été l’un des conseillers de l’europhile Kenneth Clarke, est un spécialiste des «portes tournantes» (revolving door en anglais), passant alternativement des cabinets ministériels aux cabinets privés de relations publiques ce qui, selon les médias britanniques, l’a amené à pratiquer allègrement le conflit d’intérêts. En particulier, le Daily Telegraf l’a accusé, alors qu’il était sous-secrétaire à l’éducation entre 2010 et 2013, d’avoir milité pour vendre des terrains de jeux appartenant aux écoles publiques au groupe Tesco, l’un des clients de Quiller consultant, la société de lobbying qu’il a fondée et revendue. Corporate Europe Observatory s’est ému de cette nomination. On se demande donc pourquoi Juncker lui a attribué le portefeuille des services financiers (et donc de l’Union bancaire de la zone euro) au risque qu’il se fasse le porte-parole des intérêts de la City.

Le consacré

Pierre Moscovici est ra-vi : il a obtenu le portefeuille qu’il souhaitait, celui des affaires économiques et financières, en dépit de l’opposition feutrée des conservateurs allemands. Même s’il aurait bien aimé ajouter au revers de son veston le titre de vice-président, il a obtenu en lot de consolation un poste élargi à la fiscalité et à l’union douanière, un portefeuille plein dans la Commission sortante. L’ancien ministre des finances français, qui se définit comme «social démocrate» et n’est pas effrayé par l’appellation de «social libéral», voit dans cette nomination l’accomplissement d’un destin européen qu’il n’a pourtant pas vraiment choisi : député européen de convenance en 1994 (il gère surtout les finances du PS), il est nommé ministre des Affaires européennes du gouvernement Jospin en 1997 alors qu’il espérait le budget… Il restera en place cinq ans, contre son gré, espérant en vain une promotion. Redevenu député européen en 2004, il prend cette fois son rôle au sérieux, mais ne résiste pas à l’appel national en retournant sur les bancs de l’Assemblée en 2007. Mais il affirme être resté attaché aux questions européennes, comme en témoignent plusieurs livres consacrés à cette question et le fait qu’il ait été le représentant de l’État français à la Convention qui a rédigé le projet de traité constitutionnel européen (2002-2003). Reste que cet europhile n’a pas convaincu, lors de son passage à Bercy, ses partenaires, au premier rang desquels l’Allemagne : il est accusé de n’avoir pas imposé un retour plus rapide du déficit public français sous la barre des 3 % du PIB et est donc soupçonné de laxisme, un empêchement dirimant au poste de commissaire aux affaires économiques et financières. Mais en se manifestant trop bruyamment, les adversaires de Moscovici n’ont pas laissé d’autres choix à Juncker que de le nommer à ce poste. Sinon, il serait apparu comme étant aux ordres de Berlin, ce qui aurait affaibli son autorité. Mais pour faire bonne mesure, le président de la Commission a collé un garde-chiourme au garde-chiourme en la personne du Letton Dombrovskis…

Un dur à l’euro

Le socialiste français n’aura pas les mains libres à l’économie et aux finances. Il sera placé sous la surveillance d’un vice-président conservateur (aux tendances ultra-libérales), l’ancien Premier ministre letton, Valdis Dombrovskis, chargé de «l’euro et du dialogue social». Âgé de 43 ans, cet ancien économiste de la Banque centrale lettone, ancien ministre des finances (2002-2004) et ancien député européen (2004-2009) est un dur. Chef du gouvernement entre 2009 et 2013, il a dû affronter la crise bancaire et financière qui a ravagé l’Occident : le PIB letton s’est contracté de près de 19 % entre 2008 et 2010. Sans barguigner, il a fait subir à son pays une cure d’austérité particulièrement violente afin de bénéficier de l’aide du Fonds monétaire international et de l’Union européenne : 30 % des fonctionnaires licenciés, baisse de leur salaire de 20 %, contraction des dépenses publiques de 40 %. Depuis 2011, la Lettonie a renoué avec une forte croissance et elle a pu rembourser ses prêts avec trois ans d’avance… Autant dire que cet artisan de l’adhésion de son pays à l’euro, devenue effective le 1er janvier dernier, risque de ne pas se laisser émouvoir par les appels à la compréhension et à la clémence que ne manquera pas de faire Pierre Moscovici. Dombrovskis n’a-t-il pas fait la démonstration qu’une cure brutale, mais brève, d’austérité peut être salvatrice ? Les discussions promettent d’être animées…

Le contre-emploi

Nommé un austéritaire partisan des coupes dans les dépenses publiques au poste de vice-président chargé des investissements, il fallait oser. Juncker l’a fait en propulsant à ce portefeuille exposé, celui qui est censé réconcilier les citoyens avec l’idée européenne, le conservateur Jyrki Katainen. De fait, l’ancien Premier ministre finlandais, 42 ans, couronné «meilleur ministre des finances» en 2008 par le Financial Times, le quotidien des affaires britanniques, a été l’artisan d’une politique d’austérité dans son pays, l’un des derniers «triple A» de la zone euro, qui a été touché de plein fouet par le ralentissement des échanges internationaux depuis 2008. Si ses détracteurs le rendent responsable d’une récession qui dure depuis 2012, en réalité, Katainen a été confronté à une crise des deux secteurs qui ont fait la fortune de la Finlande (bois et papier, télécoms) et au vieillissement accéléré de sa population. Afin de redresser les finances publiques de son pays, Katainen, Premier ministre depuis 2011, décide de couper dans les dépenses publiques, de reculer l’âge de la retraite, de diminuer la durée d’indemnisation du chômage, de baisser l’impôt sur les sociétés (de 26 % à 20 %), mais aussi de libéraliser l’économie finlandaise et de renforcer l’efficacité des services publics en les ouvrant à la concurrence. Cette politique de l’offre n’a pour l’instant pas produit les résultats attendus. En démissionnant pour venir à Bruxelles, Katainen espérait prendre la succession de son compatriote, le libéral Olli Rehn, aux affaires économiques et monétaires. Il se sera finalement contenté d’assurer son intérim, ce dernier ayant été élu député européen. Juncker a décidé de forcer sa nature en le chargeant notamment de mettre en musique son grand projet, un plan d’investissement de 300 milliards d’euros sur trois ans afin de relancer la croissance de l’Union européenne. Il pourra compter sur l’aide de Pierre Moscovici …

La débutante

Federica Mogherini, aussi peu connue du public que l’était Catherine Ashton, à qui elle succède, à 41 ans, au poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union et donc, comme le prévoient les traités européens, à l’une des vice-présidences de la Commission : elle dirigera le Service Européen d’Action extérieure (SEAE) et coordonnera les actions extérieures de l’exécutif européen (développement, commerce, etc.). C’est lors du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement du 30 août dernier qu’elle a été désignée en accord avec Jean-Claude Juncker. Chef de la diplomatie italienne depuis seulement quelques mois dans le gouvernement Renzi, elle sait qu’elle est attendue au tournant sur son manque d’expérience et va devoir faire ses preuves. Élue députée en 2008, elle a commencé à s’occuper de politique étrangère au sein des Démocrates de gauche (DS), le parti qui a donné naissance en 2007 au PD, aujourd’hui au pouvoir. Depuis son entrée au ministère des Affaires étrangères italien, elle a multiplié les voyages, entre autres à Moscou. Sa rencontre avec Vladimir Poutine lui a valu les critiques de plusieurs pays d’Europe de l’Est, qui l’ont accusée d’être pro russe. Cela étant, il faut relativiser son manque d’expérience. Après tout la baronne Asthon, lors de sa désignation en 2009, en connaissait encore moins qu’elle et n’a jamais parlé que sa propre langue, l’anglais. Mogherini, elle, pratique l’italien, l’anglais, le français et «un peu» l’espagnol. Un quasi-génie à côté d’Asthon…

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