Le juge des référés de Paris veut interdire toute enquête journalistique sur la vie privée

Cette décision n’est pas appelée à faire jurisprudence, puisqu’il s’agit d’une décision provisoire qui n’a pas l’autorité de la chose jugée : le juge des référés (en l’occurrence, Claire David, vice-présidente du Tribunal de grande instance de Paris), qui statue seul et non pas collégialement, peut seulement prendre des mesures d’urgence pour faire cesser un trouble manifestement illicite (provision sur les dommages et intérêts, publication d’un avis dans le journal, etc.), mais il ne se prononce pas sur le fond du droit, même s’il est tenu de motiver sa décision.

Néanmoins, elle montre la réticence d’une partie des juges hexagonaux à donner toute sa portée à la liberté d’expression garantie, non pas directement par le droit interne, mais par la Convention européenne des droits de l’homme. Prudemment, le juge évite d’affirmer la prévalence de la vie privée sur le droit à l’information qui était la règle absolue en France entre 1970, date de l’adoption de l’article 9 du Code civil et le début de ce siècle. Il connaît parfaitement les limites posées par la plupart des tribunaux au droit à la vie privée des personnalités publiques, et ce, d’autant plus, que sa juridiction d’appel, en l’occurrence la Cour d’appel de Paris, a parfaitement intégrée la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (sise à Strasbourg et qui n’a rien à voir avec l’Union européenne, poke à mon collègue Luc Le Vaillant) qui cherche à concilier vie privée et liberté d’expression, la première ne l’emportant plus à coup sûr sur la seconde. Ainsi, dans un arrêt du 19 décembre 2013, la Cour d’appel de Paris a jugé que «l’évocation de l’homosexualité de Steeve Briois (membre du FN devenu maire d’Hénin-Beaumont, NDA) et de la supposée influence de cette orientation sur la politique du FN est de nature à apporter une contribution à un débat d’intérêt général […] puisque le FN a montré des signes d’ouverture à l’égard des homosexuelsEn conséquence, le droit du public à être informé de l’homosexualité de M. Briois prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée.»

Le juge des référés rappelle donc, dans son ordonnance, que le droit à la vie privée et le droit à l’image, garantis à la fois par le droit français et la Convention européenne des droits de l’Homme, doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression garantie par la Convention européenne des droits de l’homme : ces droits « peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression ». Il convient que « la révélation de l’orientation sexuelle de M. Philippot peut toucher à l’intérêt général en ce que ce sujet peut relever d’un débat légitime sur l’incidence que peut avoir cette relation entretenue par le vice-président du FN sur les opinions politiques de Marine Le Pen ».

Mais alors, pourquoi condamner Closer ? C’est là que l’argumentation du juge devient pour le moins étrange : il estime, en effet, que « la révélation de l’homosexualité de M. Philippot n’a pas été faite de manière sobre et purement informative, puisqu’il a fallu quatre pages et huit photographies pour expliquer au lecteur que l’intéressé a passé un week-end à Vienne seul avec son ami ». Je me demande toujours ce qu’entend le juge par ces mots : « de manière sobre et purement informative » ? « Philippot est homosexuel » en cambria taille 12 lui conviendrait ? Sait-il ce qu’est un magazine people ? Je ne saurais trop lui conseiller de jeter un coup d’œil au numéro de Paris Match révélant la liaison entre Arnaud Montebourg et Aurelie Filipetti lors d’une escapade à San Francisco…

De même, le juge estime qu’il n’était pas nécessaire de préciser que les deux hommes s’étaient rendu dans un sauna « ce qui ne peut pas être considéré comme une information utile à un débat d’intérêt général, mais qui laisse poindre une moquerie, d’autant que cette phrase est suivie de trois points de suspension ». Ce jugement d’opportunité sur la façon dont un journal, même people, doit ou non présenter une information est pour le moins intrusif : un juge n’a pas vocation à se substituer à un directeur de la rédaction…

Surtout, le juge condamne les méthodes de Closer. Il lui reproche d’avoir exercé « une surveillance pendant deux jours préjudiciable à la liberté d’aller et de venir et attentatoire à la vie privée » de Philippot : pour le juge, cette « surveillance constante » « ne relève pas de la révélation légitime » et la publication des photos prouvant la relation ne sont pas nécessaire « pour une légitime information du public ». Là, on tombe de sa chaise : qu’aurait dit le juge si Closer n’avait pu fournir de preuves et s’était contenté d’affirmer que Philippot avait passé un week-end en amoureux avec son ami ? Comment peut-on à la fois considérer que la révélation de son homosexualité relève de l’intérêt général, mais que l’enquête journalistique viole ses droits ? C’est l’un ou l’autre, pas l’un et l’autre.

Autant dire que le juge des référés tente de vider de son sens la jurisprudence de Cour européenne des droits de l’homme – un principe inapplicable – et ainsi restreindre la liberté des médias : on pourrait parfaitement considérer que la plupart des enquêtes journalistiques violent l’un ou l’autre droit, que ce soit le droit à la vie privée ou le secret de l’instruction. Closer, par nature, ne fait pas dans le détail, mais les médias « classiques » non plus, même si ça n’est pas dans le domaine de la vie sexuelle ou familiale. La décision de la Cour d’appel puis éventuellement de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme permettra d’en savoir plus sur ce point: interdire l’enquête (qu’on peut toujours qualifier de traque), n’est-ce pas limiter la liberté d’expression dès lors qu’il s’agit de révéler un fait qui intéresse le débat public ?

N.B. : mon collègue Luc Le Vaillant a répondu le 25 décembre à mon article qui répondait lui-même à ma mise en cause personnelle dans les colonnes de mon journal (Renaud Dely, cher Luc, n’est pas dans mon cas, puisque, jusqu’à plus ample informé, il est membre de la rédaction de l’Obs). Je ne vais pas épiloguer, ayant exposé tous mes arguments.

Je voudrais juste revenir sur un point : je ne défends aucun ordre moral, ne veux imposer aucun comportement et ne cherche pas la « transparence » pour tout un chacun. Ce que je défends, c’est le droit des journalistes d’enquêter dans tous les domaines, y compris ceux couverts par la vie privée. La profession ne doit être stoppée par aucun interdit. Ensuite viendra la décision de publier ou non. Et celle-ci tiendra compte de la pertinence de l’information, et ce, sous le contrôle du juge en cas d’abus. Exclure a priori de son champ d’investigation des pans entiers de l’activité humaine c’est la garantie que l’on passera à côté d’informations clefs qui relèvent de l’intérêt général et de la démocratie.

Les appels de Luc Le Vaillant à la transparence financière des journalistes sont donc tout simplement un non sens et visent à détourner l’attention du débat central. Je rappelle, en outre, que nous ne sommes pas payés par l’argent public et nous ne sommes pas élus. D’autre part, nul ne demande, et surtout pas moi, à chacun d’exposer sa vie devant autrui, sans raison. En revanche, s’il apparait, à la suite d’une investigation journalistique, qu’un journaliste est stipendié par un État, une entreprise ou une de ses sources, cela devra être relevé. Ce qui est valable pour les politiques l’est évidemment pour les journalistes. Ni plus ni moins (lire aussi la pertinente analyse de Marcela Iacub dans Libération de samedi).

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