L’Iran de Bani Sadr ou le rêve d’un Iran démocratique et libre

Premier rescapé de la Révolution iranienne, Bani Sadr avait rêvé d’un Iran démocratique et libre…

Il y a trente-cinq ans, le 25 janvier 1980, Abolhassan Bani Sadr fut élu premier Président de la République islamique d’Iran à l’âge de 46 ans. Il a pris ses fonctions le 4 février 1980 pour un mandat de quatre ans.

Abolhassan Bani Sadr; un protégé de l’ayatollah Rouhollah Khomeiny

Protégé du Guide suprême de la Révolution, l’ayatollah Rouhollah Khomeiny, en raison de son père, ami et lui aussi ayatollah, Abolhassan Bani Sadr a été largement élu, par plus de 10,7 millions d’électeurs, soit 76,5% des voix (avec une participation de 67,4%). Il avait été Ministre des Finances du 27 février 1979 au 12 novembre 1979 puis Ministre des Affaires étrangères du 12 novembre 1979 au 29 novembre 1979. Enfin, il fut Président du Conseil de la Révolution islamique du 9 septembre 1979 au 11 février 1980, succédant à l’ayatollah Mahmoud Taleghani (1911-1979), un théologien modéré qui aurait pu faire évoluer la révolution islamique s’il n’avait pas été assassiné le 9 septembre 1979.

Dans cette première élection présidentielle au suffrage universelle direct en Iran, quatre-vingt-seize candidats furent validés (sur un total de cent vingt-quatre présentés). Candidat indépendant, Bani Sadr fut surtout opposé à deux autres principaux candidats.

Ahmad Madani (1928-2006), amiral formé au Royaume-Uni limogé en raison de son opposition au Shah d’Iran et docteur en droit, fut le commandant de la marine iranienne et Ministre de la Défense du 7 février 1979 au 17 septembre 1979 puis le gouverneur du Khouzistan (province qui est à quelques kilomètres du Koweït) du 22 septembre 1979 au 2 janvier 1980, où il mit fin aux visées séparatistes d’une partie de la population. Candidat du Front national d’Iran (parti politique fondé le 1er janvier 1949 par Mohammad Mossadegh qui fut Premier Ministre d’Iran du 28 avril 1951 au 19 août 1953), il a obtenu 2,2 millions de voix, soit 15,9%. Il s’est exilé en 1980 aux États-Unis où il continua ses activités politiques en exil en présidant le Front national d’Iran de 1988 à 1994.

Arrivé en troisième position avec seulement 4,8% des voix, candidat du Parti républicain islamique, Hassan Habibi (1937-2013) fut Ministre de la Culture du 1er octobre 1979 au 6 novembre 1979 et Ministre de la Science du 6 octobre 1979 au 29 octobre 1981. Il fit ses études en France où il rencontra Khomeiny en exil. Devenu docteur en droit et en sociologie, ce fut lui qui rédigea la première mouture de la nouvelle Constitution iranienne dont le texte fut cependant modifié et ratifié par référendum le 3 décembre 1979. Cette constitution a une grande originalité puisque tout le pouvoir est donné au clergé et le premier dirigeant de l’État n’est pas le Président de la République mais le Guide suprême de la Révolution. Habibi fut nommé ensuite Ministre de la Justice du 9 mars 1985 au 1er septembre 1989 dans le gouvernement de Mir-Hossein Mousavi, puis, très longtemps, premier Vice-Président de l’Iran du 1er septembre 1989 au 11 septembre 2001, sous les mandats des Présidents Hashemi Rafsanjani et Mohammad Khatami. Il a été enterré aux côtés de l’ayatollah Khomeiny avec les honneurs du régime. (Il y a dix Vice-Présidents et vingt et un ministres, et la fonction de Premier Ministre a été supprimée le 3 août 1989 par la révision constitutionnelle du 28 juillet 1989).

Comme je viens de l’écrire, le dirigeant principal de l’Iran n’est pas le Président de la République mais le Guide suprême de la Révolution qui fut l’ayatollah Rouhollah Khomeiny du 3 décembre 1979 à sa mort, le 3 juin 1989, puis, depuis le 4 juin 1989, l’ayatollah Ali Khamenei, qui fut Président de la République du 13 octobre 1981 au 3 août 1989.

Ce « guide », capable d’invalider des candidatures aux élections, est nommé par le clergé (l’Assemblée des experts) et n’a donc aucune légitimité populaire. Théoriquement, il « sert » de régent en attendant le retour de Muhammad al-Mahdi, né en 869 à Samara, devenu le douzième imam en 874 (succédant à son père Hasan al-Askari) et qui s’est caché pour éviter la persécution des Abbassides. Selon les chiites, cet homme ne serait toujours pas mort (son dernier signe de vie date de 939) et devrait bientôt revenir prendre le pouvoir en Iran pour y instaurer la justice divine.

Comme on le voit, la tâche du premier Président de la République islamique d’Iran n’était donc pas facile puisqu’il pouvait se réclamer de la légitimité populaire (grâce à une élection un peu « aidée ») sans avoir en fait la réalité du pouvoir politique, militaire, judiciaire et administratif.

Le 11 juin 2013, à l’occasion de l’élection présidentielle du 14 juin 2013, Bani Sadr expliquait d’ailleurs : « La Présidence est terminée. Même sous l’ex-Président Mahmoud Ahmadinejad, la République a résisté. Il avait un mot à dire, mais c’est terminée. [Les six candidats enregistrés] n’osent pas dire que nous sommes dans une impasse. (…) N’importe lequel de ces hommes choisis par Khamenei va exécuter ses ordres. » (Reuters).

Lorsqu’il fut Président, Abolhassan Bani Sadr voulait ainsi en finir rapidement avec la guerre Iran-Irak déclenchée le 22 septembre 1980 par Saddam Hussein (le dictateur irakien) qui souhaitait annexer, entre autres, le Khouzistan et prendre le leadership du monde musulman en anéantissant la révolution islamique en Iran. Mais Khomeiny, au contraire, voulait faire une contre-offensive qui a permis de libérer les territoires iraniens occupés par l’armée irakienne de 1981 à 1982 et voulait même renverser Saddam Hussein pour propager en Irak la révolution islamique. Résultat, la guerre s’est terminée le 20 août 1988 avec un bilan humain très lourd, 1 million de morts du côté iranien et 200 000 morts du côté irakiens.

Bani Sadr a survécu à deux crashs d’hélicoptère près de la frontière avec l’Irak, en août 1980 et en septembre 1980. Défenseur des droits de l’homme, il voulait également les voir appliquer en Iran, ce qui n’était qu’un doux rêve. Aujourd’hui encore, l’Iran est considéré comme l’un des deux pays (avec la Chine) où l’on exécute le plus de condamnés, où la justice n’hésite pas à torturer ou à violer.

Dans la crise des 66 otages américains à Téhéran (déclenchée le 4 novembre 1979 jusqu’à la libération des otages le 20 janvier 1981), Bani Sadr a affirmé que l’équipe présidentielle du candidat Ronald Reagan aurait proposé à l’Iran en avril 1980 de retarder la libération des otages en échange de fourniture d’armes à l’Iran par les États-Unis (Irangate) pour les aider dans la guerre Iran-Irak. Le pourrissement de la crise avait rendu particulièrement impopulaire le Président sortant Jimmy Carter qui a ainsi échoué dans sa réélection le 4 novembre 1980. Dans les faits, Khomeiny annonça le blocage de la situation le 6 avril 1980. L’accord aurait eu lieu en septembre 1980 et les premières livraison d’armes en juillet 1981 (cependant, les commissions d’enquêtes parlementaires du Congrès américain ont conclu à l’absence de négociation entre l’Iran et Ronald Reagan).

En raison des divergences de vues, Khomeiny destitua Bani Sadr le 21 juin 1981 (officiellement par le Majlis, le Parlement iranien appelé aussi Assemblée consultative islamique d’Iran). Ce qui lui était reproché était surtout ses désaccords avec Mohammad Beheshti (1928-1981), chef du système judiciaire d’Iran.

Bani Sadr, qui était absent lors de sa destitution, a considéré que son éviction était un véritable coup d’État contre la démocratie iranienne et a commencé à lutter clandestinement contre le pouvoir khomeiniste, en prenant contact notamment avec des partisans du Shah et aussi avec les Moudjahiddines du Peuple qui le protégeaient, dirigés par Massoud Rajavi, président du Conseil national de la Résistance du 21 juillet 1981 au 28 août 1993.

Finalement, après les nombreuses exécutions qui ensanglantèrent la vie politique iranienne, Bani Sadr s’est convaincu de quitter Téhéran et a réussi le 29 juillet 1981 à fuir l’Iran par la Turquie déguisé en femme tandis que sa famille et ses collaborateurs ont été torturés et assassinés par les gardiens de la révolution (milice personnelle du Guide suprême fondée le 5 mai 1979).

Bani Sadr fut remplacé par son Premier Ministre Mohammad Ali Rajai (1933-1981), à la tête du gouvernement iranien du 12 août 1980 au 4 août 1981, élu Président de la République le 24 juillet 1981 avec 91,0% (participation de 65,3%) et investi le 2 août 1981. Mais Mohammad Ali Rali et son propre Premier Ministre nommé le 4 août 1981, Mohammad Javad Bahovar (1933-1981), ainsi que d’autres ministres, furent assassinés lors d’un attentat à la bombe le 30 août 1981 à Téhéran. L’ayatollah Mohammad Beheshti, secrétaire général du Parti républicain islamique, celui de Khomeiny, avait également été assassiné dans un attentat qui fit plus de 70 morts le 28 juin 1981 (et il avait été remplacé par Mohammad Javad Bahovar).

Finalement, ce fut l’ayatollah Ali Khamenei qui fut élu Président de la République le 2 octobre 1981 avec 97,1% (participation de 79%), investi le 13 octobre 1981, et qui, depuis la mort de Khomeiny, détient le pouvoir suprême en Iran. Mohammad-Reza Mahdavi-Kani avait assuré l’intérim de chef du gouvernement du 2 septembre 1981 au 20 octobre 1981 avant de laisser place à Mir-Hossein Mousavi.

Quant à Abolhassan Bani Sadr, qui a maintenant 81 ans, il vit en exil en France depuis une trente-quatre ans, fortement protégé par la police française ; cloîtré dans une maison près de Paris.

Cette protection est nécessaire puisque Chapour Bakhtiar (1914-1991), dernier Premier Ministre du Shah du 4 janvier 1979 au 11 février 1979, en exil en France depuis avril 1980, fut assassiné le 6 août 1991 à Suresnes (après une première tentative commise par Anis Naccache le 18 juillet 1980 à Neuilly-sur-Seine). Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité le 10 mai 1982, Anis Naccache fut libéré par François Mitterrand le 27 juillet 1990 et accueilli en héros à Téhéran. L’un des assassins de Chapour Bakhtiar, Ali Vakili Rad, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité le 6 décembre 1994, fut libéré le 18 mai 2010 deux jours après la libération de l’otage Clotilde Reiss. Amoureux de la France, et combattant pour elle pendant la guerre contre les nazies (combattant aussi aux côtés des républicains contre Franco en Espagne), Bakhtiar aimait dire : « Je place l’Homme au centre de toute ma réflexion politique et le bonheur est mon objectif principal. ».

Depuis son exil et avec les contacts qu’il a gardés en Iran, Abolhassan Bani Sadr a collecté certaines informations capitales sur l’assassinat de Chapour Bakhtiar et d’autres victimes du régime à l’extérieur, et en a fait part le 9 janvier 1997 : « J’ai révélé la structure terroriste de l’État iranien. J’ai montré qu’il y a dix-sept organisations, réparties dans différents ministères, chargées du terrorisme. (…) Et surtout, j’ai expliqué que (…) condamner quelqu’un à mort, c’est le monopole du Guide. Personne d’autre ne peut le faire (…). Idéologiquement, il n’est pas possible de faire tuer quelqu’un sans un verdict, sans un ordre religieux venant du Guide lui-même (…). J’ai montré que dans chaque ministère, il y a une cellule, un service dont la mission est de faire tout le nécessaire pour réaliser les opérations (…). C’est ainsi que Kharrazi, qui a dirigé [le Ministère des Télécommunications], a joué un rôle important dans l’assassinat de Chapour Bakhtiar. Le Ministère des Affaires étrangères joue aussi un rôle très important : il fournit les vrais faux passeports remis aux agents ; et les ambassades servent de bases logistiques… Tous les ministères participent, à un titre ou à un autre. » (« L’Événement du Jeudi »).

Sur la politique actuelle, Bani Sadr considère que l’ayatollah Khamenei conduit l’Iran à la déroute en voulant absolument maintenir une ceinture chiite dans une alliance avec Bachar el-Assad en Syrie. Le but étant pour l’Iran d’être le leader du monde musulman : « Sa stratégie est de voir combien la peur peut paralyser les gens. » (11 juin 2013). Mais aujourd’hui, avec le développement du Daech, la problématique géopolitique semble devenir un peu différente.

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