Ni hasard, ni nécessité : la vision scientifique moderne en question selon Marc Halévy

Marc Halévy ne fait pas partie de l’establishment universitaire, ce qui ne l’empêche pas de mener des réflexions dans les champs du savoir, parcourant la systémique, les doctrines métaphysiques inspirées par la Kabbale ou le Tao, tout en ouvrant des voies inactuelles susceptibles de livrer une compréhension alternative de la Nature. Halévy s’inscrit dans un domaine marginal mais néanmoins indispensable à la connaissance, celui de la philosophie de la Nature. En Occident, la science moderne est un passage obligatoire permettant d’accéder à la compréhension de la matière, du cosmos et de la vie. La conception moderniste du monde est issue des savants modernes, Galilée, Descartes, Newton, Laplace, Darwin pour n’en citer que quelques uns. Cette conception allie le matérialisme, l’objectivisme, l’atomisme et le mécanisme, avec les systèmes de mesure et les dispositifs théoriques issus des résultats empiriques. On peut adhérer à ces conceptions ou bien les refuser et proposer d’autres voies. Pour se faire une idée, il faut examiner les thèses développées dans son dernier livre (Halévy, Ni hasard ni nécessité, Oxus, 2013).

La science théorique moderne a placé au centre du dispositif ontique le hasard (entre autres). Il est temps de renverser la conception et de passer à une vision qui redonne une certaine, pour ne pas dire nouvelle, intelligibilité à la Nature. Halévy propose trois portraits « métaphysiques » dessinant le dispositif savant en usage dans trois civilisations, la Chine, l’Inde et l’Occident issu de la Grèce. Ces trois civilisations sont déterminées historiquement et ontologiquement par trois rapports gnoséologiques au monde. La Chine accentue le volet pratique, en s’appuyant sur les déterminants dynamiques pour s’y couler en jouant sur le non agir, tout en mettant l’accent sur la finalité, le pour quoi, l’utilité des choses en vue d’une fin. L’Inde est centrée autour d’une approche transcendantale, avec la préoccupation des fondements, des origines, des causalités et donc du pourquoi ; le but de l’existence étant alors de se fondre dans le cosmos. La Grèce met l’accent sur une approche structurelle, cherchant à établir les lois de la Nature afin de s’y faufiler. La préoccupation grecque est théorique, axée sur la modalité, le comment des choses. Aristote avait distingué une science qui s’occupe du comment et une métaphysique qui cherche la causalité en amont, le pourquoi, et en aval, le pour quoi. Mais c’est en Europe moderne que cette distinction se développe sous la forme d’un cloisonnement et qu’après Galilée, le comment du monde phénoménal se sépare du pourquoi et du « en vue de quoi », ces deux volets étant alors dévolus aux théologiens, puis aux métaphysiciens modernes, puis remisés au placard suite au décret positiviste établi par Auguste Comte. La Nature devient mécanique et nomologique. La question des fins se sécularise en s’invitant dans les pensées historicistes avec un « pour quoi » adossé au progrès. Celui-ci étant réservé à l’homme mais pas à la Nature qui devient dépourvue d’intention et de finalité. C’est contre ce schéma que s’inscrit en faux Halévy avec la présentation de deux visions du monde qui s’affrontent au sein même de la science. Rappelons que cette même science est issue d’une scission entre deux systèmes du monde à l’époque de Copernic, Galilée et Descartes.

Les deux visions du monde qui s’affrontent sont issues de la science moderne avec d’un côté la physique standard et ses deux piliers, la mécanique quantique et la cosmologie, conçues avec des formalismes mathématiques surdimensionnés ; et de l’autre côté une physique nouvelle issue de la thermodynamique du non équilibre, du devenir et des théories de la complexité. Pour un physicien orthodoxe, la quête d’unité est un horizon. Il n’y a pas lieu d’opposer les représentations extrapolées à partir de la physique. Halévy se situe plus dans le champ de la philosophie de la Nature. En ce cas, l’opposition entre deux catégories de sciences physiques est accentuée pour conduire à une opposition entre deux systèmes du monde. Avec page 80 une question permettant d’appréhender ces deux visions : Dieu est-il ingénieur ou artiste ? On aura deviné que le Dieu ingénieur renvoie à la dimension technique de l’univers, au grand architecte des Lumières et à une physique qui calcule, mesure, assemble, crée des structures en découvrant d’autres structures et les règle pour les assembler. Le Dieu artiste renvoie à une opposition heideggérienne entre la vision technique et la vision poétique du monde. C’est aussi (dans un autre cadre) une opposition assez connue entre une physique de l’être et une physique du devenir. On retrouve bien ici la signature de Prigogine.

L’autre axe de la métaphysique de l’intention proposée par Halévy, c’est le principe holistique. En ce sens, une seconde opposition se dessine, entre une physique réductionniste, atomiste et mécaniste, et une physique holiste, répondant au principe de Mach étendu aux phénomènes en devenir. Un système hologrammique repose sur l’interconnection de toutes les parties avec chacune d’entre elles qui évolue en adoptant un des états possibles obéissant à un critère, celui d’être compatible avec l’évolution du tout (p. 92). L’universalité du principe holistique conduit à suggérer qu’en tout domaine de l’univers est inscrite la loi d’évolution globale qui détermine localement un champ de contraintes. Le devenir des choses est mû par une intention systémique locale tendant à actualiser ses potentialités. Avec mémoire globale et intention locale. Tout se déroule selon le principe d’un jeu subtil des possibles et des impossibles (Je dirais pour ma part des chemins ouverts vers le concept, vers la compossibilité des formes, et des impasses conduisant à la dégradation ou au chaos entropique).

L’avènement d’une nouvelle conception du monde est donc la thèse défendue par Halévy qui est suffisamment lucide pour repousser cet avènement à une vingtaine d’années, le temps que les savants cherchent et trouvent quel est le système du monde le plus vrai. En attendant, des pistes sont tracées avec des balises permettant de nous orienter comme ces six oppositions présentées dans la seconde partie de l’ouvrage et censées mettre face à face une notion issue de la science moderne et une autre qui se dessine dans la nouvelle métaphysique. Chaque notion est illustrée par une figure de la science.

Galilée et Sheldrake, le matérialisme contre l’hylozoïsme Descartes et Bergson, l’analycisme contre l’holisme Newton et Hobbes, mécanicisme contre organicisme Lavoisier et Prigogine, réductionnisme contre émergentisme Laplace et Teilhard de Chardin, déterminisme contre téléologisme Boltzmann contre Trin Xuan Thuan, hasardisme contre intentionnalisme

Ces dipôles, comme se plaît à les désigner l’auteur, tracent une démarcation entre l’ancienne et la nouvelle vision des choses. Le nouveau système du monde combine alors les éléments suivants : hylozoïsme, holisme, organicisme, émergentisme, téléologie, intentionnalisme. L’importance est accordée à une approche qui met en avant le tout et qui insère les parties dans une organisation et ordre à la fois ontologique et téléologique avec la thèse d’une matière qui n’a rien d’un objet mécanique mais qui, conformément à la doctrine hylozoïque, contient la vie en puissance. Avec un rôle important de la mémoire. Il est en effet utile de remarquer que si le passé n’est plus, il reste inscrit dans une mémoire et c’est ce qui permet aux systèmes d’évoluer et aux émergences de se déployer car le temps n’est pas uniquement ce qui s’écoule mais aussi ce qui s’accumule. Un effet de seuil produit les émergences grâce à la mémoire. Le processus trouve sa solution en quelque sorte, après avoir orienté ses intentions pour trouver la solution. Mais parfois le processus échoue.

La métaphysique de l’intention proposée par Marc Halévy offre ainsi une vue de la nature en décalage face aux « savants égarements de la modernité ». Avec un horizon métaphysique si bien qu’on ne sera pas étonné de retrouver quelques reformulations de notions classiques qu’on trouve chez Spinoza, le conatus décliné en intentions, ou chez Leibniz avec une monadologie inversée dans le temps et la causalité. Si les monades étaient soumises à un principe téléologique qui permet leur réglage dans le temps, ce réglage étant alors compris comme la réalisation du tout grâce aux parties. Je partage cette vision mais suis en désaccord avec la place de la mécanique quantique à laquelle j’assigne un rôle ontologique qui diverge avec celui proposé par Halévy qui ne voit pas dans la physique quantique une propension à la nouveauté en la rangeant dans une physique à faible taux d’activité, ce qui est le cas de la cosmologie relativiste.

La « métaphysique de l’intention » est un livre qui ouvre vers l’avenir dans la mesure où il nous reconduit vers nos racines gnoséologiques, non seulement Leibniz et Spinoza mais aussi la gnose des flux et des fondements qu’on trouve en Inde ou en Chine. Ce n’est qu’une pièce du puzzle puisque comme je l’ai déjà suggéré, la physique nous reconduit aussi vers Aristote, Platon, Plotin et le soufisme.

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