Profession : Ingénieur culturel

Voilà une expression qui peut interpeller, tant la mise en face à face du terme d’ingénieur avec celui de la culture peut troubler l’esprit. Comment un ingénieur, celui qui analyse un problème, établit un diagnostic, formule des solutions et accompagne leur mise en œuvre, peut se retrouver au milieu du champ sémantique de la culture ? Définie admirablement par André Malraux lui-même : «Elle a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création de l'art et de l'esprit qui l'enrichisse »

Et pourtant cet oxymore, par définition inattendu, voir inconcevable n’est pas loin d’exprimer un univers où la tension poétique se mêle à la rationalité des faits. Aujourd’hui l’économie de la culture a pris sa place dans le discours universitaire et politique. On parle désormais aussi bien de management culturel, que d’industrie culturelle ou encore créative. Les universitaires de renom sur la question sont légions : Françoise Benhamou, Philippe Martin, Anne-Marie Autissier, François Moreau, Philippe Bouquillion etc …

L’ingénieur culturel, malgré tout le soin qu’un homme tel que Claude Mollard a pris à le conceptualiser et surtout à le mette en œuvre, reste encore aujourd’hui une bizarrerie, une incongruité. Mais aujourd’hui c’est bien de cela dont il s’agit lorsque l’on parle de management culturel. Mais se faisant on rétrécit le champ du sujet à un mode gestionnaire de la culture. L’ingénieur culturel c’est bien plus que cela.

C’est l’homme ou la femme qui va s’emparer d’un problème (créer un festival, réhabiliter un bâtiment, définir à partir d’un audit une nouvelle politique culturelle pour une collectivité, définir et étudier la faisabilité de tout projet culturel…), il va l’analyser, établir un diagnostic argumenté et proposer des solutions dont il accompagnera la mise en œuvre.

Il peut être ainsi le bras armé de tout projet culturel afin de l’insérer dans une logique de développement et un équilibre économique raisonnable, lui donner toutes ses chances d’épanouissement. Longtemps la culture a résisté à l’économie, elle était entre les mains de gens de culture, qui pratiquait celle-ci comme une religion, avec tout l’amour et l’irrationalité, la transcendance que les religions portent en elles.

Désormais les « idoles » ont laissé la place au marketing, à l’optimisation, aux coûts, aux programmes, aux comptes d’exploitations prévisionnels, aux études de cas etc …

C’est au milieu des années 1980 que s’est forgé et conceptualisé la notion d’ingénierie culturelle. Claude Mollard a été un acteur intensif de se travail et c’est à ses côtés que j’ai moi-même avancé sur ce chemin-là.

Est-ce le hasard qui a porté mes pas vers ce métier-là ? Non je ne le crois pas.

Fils d’un militaire du génie, donc ingénieur du bâtiment et des travaux publics de l’armée, j’ai baigné dans un univers de logique et de rationalité, tout en développant un intérêt très fort pour la culture (sans doute par opposition, à la figure du père qui voulait faire de moi un scientifique, un ingénieur, au sens traditionnel du mot). J’ai poussé cette opposition jusqu’à faire après un bac scientifique des études littéraires, une Maîtrise de Lettres Modernes, tout en flânant à la fac de droit en parallèle pour suivre des cours de politique économique.

Destiné, suite à un concours de l’éducation nationale (les IPES), au métier de professeur de français, j’ai déserté très vite le bateau pour intégrer l’Institut des Sciences Politiques à Paris. Ceci avec l’intuition que j’allai pouvoir y trouver des éléments de réponses à nombre de mes interrogations. Militant politique et associatif très jeune, j’étais en manque de repère, d’argument, d’analyse et de connaissance pour donner de l’épaisseur et du sens à mes convictions, jusque-là juste intuitives.

Ce fut le cas en particulier dans les cours d’économie politique et les TP de statistiques dont je goûtais l’intérêt en tant qu’outils d’analyse et de décryptage du réel. Ce fût aussi de grandes rencontres avec des enseignants hors pair : Eric Orsenna, Jean Charlot, Nicole Questiaux et Jacques Fournier, René Raymond, Pierre Milza, Alfred Grosser et tant d’autres.

Ma sortie de Science Po me propulsa dans un premier temps dans le monde politique, attaché parlementaire d’Edgard Pisani, staff de Michel Rocard (où j’étais le permanent des groupes études qui réunissaient des hauts fonctionnaires au service des idées et de la carrière de Michel Rocard), cabinet ministériel en 1981 (au Ministère du Temps Libre) où très vite je me suis intéressé au lien entre l’éducation populaire et la culture.

J’ai été à l’initiative de la création au ministère de la jeunesse et des sports (Temps Libre) d’un bureau de la « communication sociale » pour fédérer et rationaliser l’action des associations d’éducation populaire qui voulaient investir dans l’usage du matériel audiovisuel et informatique.

Je pilotai aussi les études du Ministère dans le domaine du tourisme et de la jeunesse.

Puis, les cabinets ministériels ont toujours une fin, pour le Temps Libre ce fut une chute aussi brutale qu’injuste pour son titulaire André Henry et toute son équipe , je m’investissais dans l’Agence de l’Informatique (établissement public en charge de développer l’informatique en France) où je me consacrai très vite à la mise en place d’un réseau de Centres de ressources informatiques, dits X2000, dans les régions, tournés vers l’éducation des pratiques du grand public.

Je participais aussi au vaste projet des équipements scolaires en matériel informatique lancé en 1985 par le premier ministre de l’époque Laurent Fabius, le Plan informatique pour Tous. Projet visionnaire, mais dont la mise en œuvre fût un échec, trop tôt …

Enseignant en parallèle dans une école de commerce (l’INSEEC) j’y créai très vite (en 1985) un département spécialisé à partir de la deuxième année dit de « Management culturel » où se sont formés les premiers « ingénieur culturel » en France. Steven Hearn a été l’un de ces premiers étudiants. Aujourd’hui il est l’une des figures de proue de l’ingénierie culturelle à 42 ans il est à la tête de Scintillo, la holding qu’il a créée structurant une vingtaine d’entreprises, dont la Gaité Lyrique, le cinéma le Saint André des Arts, et autres régies publicitaires et incubateur de Start Up, et c’est avec Le Troisième Pôle que son aventure a commencé.

Aujourd’hui je suis professeur associé à l’Université d’Evry Val d’Essonne au département art et culture (Administration de la musique et du spectacle vivant) et Directeur des relations Extérieures de l’Adami (Société civile pour l’administration des droits des artistes et des musiciens interprètes)

Bref, ces expériences ont fait qu’au moment même où les collectivités locales s’interrogeaient sur la gestion des fonds qu’elles investissaient dans la culture, que des crises de confiance violentes éclataient entre les équipes culturelles et les élus municipaux (souvent à l’occasion d’un changement de majorité), la formalisation de méthodes de prévisions, d’anticipation et d’audit aux mains d’experts reconnus a très vite trouvé sa pertinence et ainsi sa place et son succès.

Aujourd’hui les ingénieurs culturels sont prêts. Ils interviennent sur :

– la communication culturelle sur la base d’enquête, de sondage, d’interviews pour formuler un projet fort et porteur pour une collectivité culturelle ou une institution,

– l’audit culturel pour dresser un véritable tableau de bord, présentant les outils de compréhension d’une politique ou d’un équipement afin d’en modifier l’orientation,

– les études de cas, pour retenir des expériences passées le fruit de leur travail,

– les études de publics, pour cerner les besoins et les attentes,

– les études de définition et de faisabilité, en amont de tout projet, pour en mesurer la nécessité, l’impact et les coûts,

– et enfin l’émergence du concept de « tourisme culturel » auquel j’ai particulièrement plus contribué, avec son corollaire sur l’économie du patrimoine.

– mais aussi dès cette période « la formation permanent aux métiers de la culture »,

– et enfin bien sûr la notion d’ingénierie de projet et de manager culturel.

On peut dire que les termes de consultant et d’ingénieur culturel sont interchangeables et correspondent, selon leur emploi, plus à une culture du milieu. Le terme de « consultant » est propre aux grandes agences de « consulting » qui se sont appropriées le moment venu ce nouveau secteur d’intervention.

Le terme d’ingénieur est un peu plus « militant » dirions-nous, il implique plus qu’une simple intervention technique, il recouvre l’idée d’ « un message » à faire passer et une action volontariste. Le terme de médiateur culturel est apparu depuis une dizaine d’année, vous le retrouverez en France dans les petites annonces de Télérama (journal spécialisé dans les programmes TV et la culture en général). Il est l’intermédiaire entre le public et l’action culturelle, son métier est plus orienté vers le développement d’une politique des publics.

Le manager de projet culturel est celui qui travaille au sein d’une institution, une association, un festival, il gère un projet met en œuvre et contrôle un budget.

L’ingénierie culturelle et le management culturel sont née à la fois :

– de la volonté des élus de reprendre la main sur les équipements culturels

– d’obtenir de la lisibilité sur les investissements

– de s’assurer par la culture une communication de qualité

– de « rassurer » les investisseurs économiques – de se nourrir de la culture pour développer des projets touristiques et vice versa

D’une certaine manière le monde de l’entreprise mettait le pied dans l’univers de la culture et cela chagrina un grand nombre de personnes, pour autant dans toutes les actions que j’ai mené en tant qu’ingénieur culturel ou économiste de la culture je n’ai jamais eu le sentiment de « vendre au diable » mon idéal.

Bien au contraire, j’ai eu à chaque fois dans tous ces beaux et innombrables projets le sentiment de faire avancer et progresser l’idée que la culture n’est pas seulement la résultante d’une volonté issue du mécénat (église, princes puis chefs d’état) comme notre l’histoire l’a démontré, mais une composant active et enrichissante de notre société au même titre que l’industrie, la science et le savoir.

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