Sauver la Grèce pour sauver l’Europe

Publié le : 13 septembre 20187 mins de lecture

La crise de la zone euro a-t-elle vraiment eu lieu ? Ne s’agissait-il pas en réalité d’une crise grecque qui, mal gérée faute de disposer d’instruments adéquats, a mis en péril la monnaie unique ?

La réponse ne fait plus guère de doute : un peu plus de cinq ans après que le Premier ministre grec de l’époque, Georges Papandréou, ait appelé à l’aide ses partenaires du cadre enchanteur de l’île de Kastelorizo, le pays, faute de réformes suffisantes, est toujours incapable d’avoir accès aux marchés financiers. Et la zone euro ne sait plus comment s’y prendre pour sortir du bourbier grec comme le montre la multiplication des sommets de « la dernière chance ». La majorité des Européens sont seulement certains qu’un « Grexit » serait catastrophique pour la Grèce et périlleux pour la zone euro.

L’Irlande et le Portugal ont démontré que la crise de la zone euro était en fait une crise grecque : confrontés à de graves problèmes à la suite de la crise financière américaine, ils n’auraient jamais été privés d’accès aux marchés, fin 2010 pour la première, début 2011 pour le second, si la Grèce n’avait pas auparavant chuté, ce qui a causé une panique sans précédent parmi les investisseurs. Ces deux pays ont alors consenti des sacrifices équivalents à ceux de la Grèce afin de redresser leurs comptes publics et, au bout de trois ans, ils sont sortis de l’assistance financière européenne, comme prévu. Ils s’offrent même le luxe de rembourser par anticipation le Fonds monétaire international (FMI), celui-là même qu’Athènes menace de ne pas payer le 30 juin… Chypre, qui a trébuché en 2013, est aussi sur la voie de la rédemption, tout comme l’Espagne qui, attaquée à la suite de l’éclatement de la bulle immobilière, a résisté seul et a mis en œuvre des réformes particulièrement dures.

Il y a donc bien une singularité grecque, ce que chacun des acteurs de cette crise sait parfaitement depuis longtemps. Fin 2000, en admettant Athènes dans la monnaie unique, les États membres, la Commission et la Banque centrale européenne (BCE) n’ignoraient pas qu’elle mentait sur ses chiffres et que l’état de son économie ne lui permettait pas de partager la même monnaie que l’Allemagne. D’ailleurs, dès 2005, le nouveau gouvernement conservateur grec a reconnu officiellement avoir divisé par deux son déficit public depuis quatre ans sans que cela suscite la moindre réaction de ses partenaires. Des mensonges grossiers qui ont continué jusqu’à 2009, trop tard pour réagir efficacement, la crise financière de 2007-2008 ayant changé la donne. Cet aveuglement volontaire à l’égard de « la patrie de Platon », pour reprendre l’expression de Valéry Giscard d’Estaing qui a fait adhérer, en 1981, ce pays à la CEE, est encore plus ancien : « la Grèce, c’est notre Club Méd, on se la paiera, ça n’est pas un problème », expliquait ainsi froidement, en 1991, Pierre de Boissieu, l’un des deux négociateurs français (avec Jean-Claude Trichet) du traité de Maastricht, à des journalistes qui s’interrogeaient sur la capacité de ce pays à rejoindre la monnaie unique.

Il y a donc quelque chose d’obscène à entendre aujourd’hui les responsables européens tempêter contre un pays dont ils connaissaient parfaitement les défauts et les limites : un Etat clientéliste, bureaucratique et corrompu, une économie fermée, structurée autour d’un secteur public inefficace et de très petites entreprises faiblement innovantes et peu exportatrices. Il ne s’agit pas seulement d’améliorer ici ou là, mais de rebâtir un pays sur de nouvelles bases, ce qui prend du temps. Ainsi, les États d’Europe centrale ont mis 14 ans pour se mettre aux standards de l’Europe de l’Ouest et le rattrapage est loin d’être terminé.

La tentation, notamment en Allemagne et dans les pays du nord de l’Europe, est grande de réparer l’erreur commise en 2000 en poussant la Grèce vers la porte de sortie, ce qui servira de leçons à ceux qui seraient tentés de ne pas suivre la discipline commune. Mais personne ne sait comment réagiraient les marchés devant cette incapacité de la zone euro à régler un problème qui ne représente que 2 % de son PIB. Va-t-elle ainsi s’amputer un à un de ses membres qui posent problème ? Le doute ainsi instillé pourrait saper la confiance dans l’euro et lui être mortel.

Le seul choix raisonnable est donc de tout faire pour garder la Grèce dans l’euro, même si cela coûtera très cher : ses partenaires doivent lui laisser le temps de se reconstruire et non pas exiger l’impossible dans l’immédiat. Dans l’intervalle, la zone euro doit poursuivre son intégration : après la création du Mécanisme européen de stabilité, de l’Union bancaire, du gouvernement économique, les présidents des institutions communautaires (Commission, Parlement européen, Conseil européen, BCE, Eurogroupe) ont proposé hier de mettre en place un contrôle démocratique et de créer d’ici à 2025 un Trésor européen. De ce point de vue, la Grèce aura, d’une certaine façon, rendu service à l’euro en montrant qu’il ne pourrait survivre sans une intégration politique fédérale : la faillite d’un État de la zone euro ne doit plus mettre en péril son existence, tout comme la faillite de la Californie ne menace pas l’existence des États-Unis.

N.B.: article paru dans Libération du 23 juin

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