Union: les grands Etats prennent du poids

Ainsi, dès ce 1er novembre, le vote à la majorité qualifiée va connaître sa première révolution depuis qu’il a été introduit (en pratique, en 1985) : désormais, un acte sera adopté s’il réunit 55 % des États (soit 16 pays) représentant 65% de la population (soit 328,622 millions de personnes).

Avec ce nouveau système, qui remplace l’incompréhensible « pondération des voix » (chaque pays a droit à un certain nombre de voix – les quatre grands 29, l’Espagne et la Pologne 27 jusqu’à Malte, 3, et il faut obtenir 260 voix sur 352 pour réunir une majorité qualifiée), la prise de décision est fortement facilitée en cas de vote : 10 % de « coalitions gagnantes » contre 2 % dans le système précédent. Si les États avaient accepté le système proposé par la Convention européenne présidée par Valéry Giscard d’Estaing (50 % des États représentant 60 % de la population), la proportion serait passée à 22 %…  En outre, le poids des grands s’accroit sensiblement : Berlin passe ainsi de 8,4 % des voix à 15,93 % de la population, Paris de 8,4 % à 12,98 %, Londres, de 8,4 % à 12,61 % et Rome de 8,4 % à 11,81 %. Le gain espagnol est minime (+0,84 %) et tous les autres pays perdent en influence (le tableau de la population publié par le Conseil des ministres est ici).

Berlin et Paris, grands gagnants

Ce système bénéficie surtout à l’Allemagne et à la France, mais aussi curieusement aux États les moins peuplés que sont Malte, la Lettonie, la Slovénie, l’Estonie, le Luxembourg et Chypre. Selon l’indice de Banzhaf, en effet, ils sont les plus susceptibles d’être dans une position pivot qui leur permettra de déterminer la coalition gagnante. Merveille du calcul des probabilités ! En revanche, les vrais grands perdants sont l’Espagne et la Pologne qui perdent la surreprésentation obtenue dans le traité de Nice (2 voix de moins que les quatre grands avec 25 millions d’habitants en moins…).

C’est d’ailleurs pourquoi cette dernière s’est battue, lors du sommet de Lisbonne de 2007, pour que le Conseil puisse voter à la pondération des voix jusqu’au 31 mars 2017 lorsqu’un Etat le demande. C’est seulement après cette date que ce système sera définitivement abandonné. Cela étant, il faut savoir que l’on vote très peu au Conseil, la présidence tournante de l’Union essayant en général de trouver un compromis acceptable par tous, compromis qui est accepté quand les Etats s’aperçoivent qu’ils sont en minorité virtuelle…

Mais, comme rien n’est simple en Europe, la Pologne des jumeaux Kaczynski a aussi obtenu que le « compromis de Ioannina » continue à s’appliquer pour l’éternité : 34 % des États (soit 9) ou des pays représentant 36 % de la population européenne pourront demander que le vote soit différé pendant « un délai raisonnable »…

Dernière subtilité : la minorité de blocage qui permet de s’opposer à une décision en réunissant soit plus de 45 % des États, soit plus de 35 % de la population, devra en tout état de cause réunir au moins 4 États afin d’éviter que le seuil de 35 % de la population soit atteint avec seulement 3 pays. En clair, il s’agit d’éviter de donner un trop grand poids à l’Allemagne.

La Banque centrale européenne (BCE) se réforme aussi

L’institut d’émission de Francfort a pris ses précautions dès 2002 afin d’éviter que l’élargissement de la zone euro se traduise par une trop forte domination des petits pays. En effet, les gouverneurs des banques centrales de la zone qui siègent au sein du Conseil des gouverneurs disposent chacun d’une voix, quelle que soit la taille de son pays. Au fur et à mesure des nouvelles adhésions (18 États membres aujourd’hui, 19 à partir du 1er janvier, avec la Lituanie), il est devenu possible qu’une coalition de petits pays représentant moins de 5 % du PIB de la zone puisse imposer sa volonté aux autres et notamment aux trois grands (Allemagne, France et Italie, qui pèsent 75 % du PIB). Inimaginable, quand on sait que le système actuel d’égalité parfaite est déjà fortement contesté outre-Rhin.

Sur proposition de la BCE, le Conseil des ministres a donc adopté, le 21 mars 2003, un règlement modifiant le protocole relatif au statut de la BCE afin d’instaurer un système de vote par rotation applicable dès que la zone euro dépassera 15 membres. Mais, en décembre 2008, à la veille de l’adhésion du seizième État membre, la Slovaquie, la BCE, comme l’y autorisait le protocole, a décidé de reporter l’entrée en vigueur de ce système à l’adhésion du dix-neuvième pays: un chiffre qui sera atteint le 1er janvier avec la Lituanie.

À partir de cette date, donc, le nombre de voix total du Conseil des gouverneurs sera limité à 21. Les six membres du directoire garderont chacun leur droit de vote. Les gouverneurs, eux, devront se partager les 15 voix restantes. Ils seront divisés en deux groupes : le premier, qui comprendra ceux qui représentent les cinq premières économies de la zone (PIB et importance du secteur financier), soit l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas, disposera de 4 voix. Le second, qui regroupera les 14 gouverneurs restants, se partagera 11 voix. Les gouverneurs qui ne pourront pas voter seront tirés au sort. Le 18 septembre, la BCE a fait savoir qu’en janvier, ce sera le cas du gouverneur espagnol, puis en février du gouverneur français. Le président de la Bundesbank, lui, sera privé de son droit de vote en mai et en octobre 2015. Dans le second groupe, l’Estonie, l’Irlande et la Grèce ne participeront pas aux votes en janvier. Ce système de rotation est adouci pour les très grands États, car il est désormais acquis que l’Allemagne, la France et l’Italie disposeront toujours, en plus de leur gouverneur de banque centrale, d’un siège au directoire, devenu de facto le « conseil de sécurité » de la zone euro.

À partir du vingt-deuxième État membre, le système se compliquera encore : il y aura alors trois groupes (grands, moyens, petits). Le premier gardera ses quatre voix, le second n’aura plus que huit voix, le troisième, trois. En présentant cette réforme au Parlement européen en 2003, Wim Duisenberg, le président de la BCE de l’époque, avait été franc : c’est « quelque chose qui ne mérite pas un prix de beauté, mais c’est une solution satisfaisante à un dilemme auquel nous n’aurions pas dû être confrontés». En clair, les Etats auraient dû régler ce problème en amont…

Autre changement important qui entrera en vigueur le 1er janvier : les procès verbaux des délibérations de la BCE seront rendus publics. Ces deux réformes vont rapprocher l’Institut de Francfort du mode de fonctionnement de son homologue américaine, la Réserve fédérale

La réforme manquée de la Commission

Le traité de Lisbonne avait prévu une réforme aussi importante que celle du système de vote à la majorité qualifiée et qui, elle aussi, aurait dû entrer en vigueur en 2014 : la réduction de la taille de l’exécutif européen. En théorie, le nombre de commissaires aurait dû être limité à un nombre ne dépassant pas les deux tiers des États membres, soit 18 dans la configuration actuelle (article 17 du Traité sur l’Union européenne). Mais voilà : à la suite du référendum irlandais du 12 juin 2008 rejetant le traité de Lisbonne, les chefs d’État et de gouvernement ont profité de cette opportunité pour enterrer une réforme que la majorité d’entre eux n’aimait guère. Afin de faire des « concessions » au peuple irlandais et le convaincre d’adopter le traité de Lisbonne, ce qu’il fera fin 2009, ils ont décidé, comme les y autorisait le traité de Lisbonne de ne pas appliquer cet article du traité de Lisbonne (décision formalisée le 22 mai 2013 par le Conseil européen). Résultat : la nouvelle Commission compte encore 28 commissaires. Pour contourner l’obstacle, Jean-Claude Juncker, le président élu, a décidé de nommer sept vice-présidents chapeautant des groupes de commissaires, ce qui évite de créer des portefeuilles totalement artificiels. La seule bonne nouvelle dans cette affaire est que le Conseil européen pourra revenir sur l’abandon de cette réforme sans passer par une réforme des traités. Le chantier européen permanent n’est pas près de se terminer.

Photo: Reuters

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