André Henry, un militant de l’action laïque

Publié le : 28 septembre 201816 mins de lecture

Quand je pense à André Henry, une multitude de souvenirs remontent à ma mémoire. Les années que nous avons partagées en 1981 sont les plus riches de ma vie. J’étais jeune et son influence sur ma formation a été déterminante. En même temps notre rencontre ne fut pas un véritable hasard, mêmes origines, même éducation et mêmes valeurs.

Né le 15 octobre 1934 à Fontenoy-le-Château dans les Vosges, sa biographie sur Wikipedia indique qu’il « est un instituteur syndicaliste, militant associatif et homme politique français ».

Sur son enfance, il est peu bavard. Il aura fallu cette fête pour ses noces d’or dans les Vosges et cette promenade sur la canal de son enfance, le passage à l’écluse où il a grandi auprès de sa grand mère, pour en savoir un peu plus, belles journées partagées avec émotion. C’est une enfance entourée de deux femmes, sa grand-mère, sa mère, pas de père, ni de frère, ni de sœur. La nature immense, la pêche et les courses en solitaire dans les bois, une scolarité tranquille, il dit qu’il a été heureux, même si une fois marié, il s’est considérablement investi dans la famille de sa femme.

C’est en 1951, que bon élève il entre à l’école normale d’instituteurs de Mirecourt. Trois ans après il est instituteurs à Fontenoy-le-Château, puis à Thaon-les-Vosges.

Il se forgera une identité militante très tôt, il sera le délégué de sa promotion (1954-1955) à l’Ecole normale, il a 20 ans. C’est donc un tout jeune homme, plus habitué des bois et du silence de l’eau, qui rejoint à ce titre la section départementale des Vosges au Syndicat national des instituteurs (SNI). André Henry s’est trouvé une famille, une grande famille. Il fait son service militaire dans l’aviation, où il fera son apprentissage de pilote, il pilotera tout au long de sa vie, faisant partager sa passion à ses proches. Je me souviens encore de cette promenade en avion, un tout petit avion, et il fallait toute la confiance que j’avais en lui, pour me remettre ainsi entre ses mains et dans les airs.

1961, il a 27 ans il est déjà élu secrétaire général adjoint de la section des Vosges du SNI, deux ans plus tard il en est le secrétaire général et rentre au bureau national du SNI en décembre 1965.

Outre l’aviation, c’est la passion du football qui l’emporte, football qu’il pratique régulièrement en amateur. Il s’engage complétement dans la mouvance laïque. C’est en 1963, qu’il est initié à la Fraternité vosgienne, loge du Grand Orient de France. Il siège au CA de la Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN). C’est lui qui fonde à Thaon-les-Vosges en 1960, l’amicale laïque. Il sera secrétaire du Comité départemental d’action laïque (CDAL)

Passent les événements de mai 1968 et c’est en janvier 1969 qu’il quitte les Vosges pour « monter » à Paris et siéger au secrétariat permanent du SNI. Il a 35 ans et prend la responsabilité du secteur « jeunes » du syndicat. Il est très proche de Guy Georges, haut marnais historique et voisin des Vosges. Ils présenteront ensemble un document historique au congrès national du SNI en 1970 : « Une nouvelle Conception de l’éducation et de l’école », document fondateur de la thèse de l’école fondamentale.

Travailleur, organisé et têtu il continue à faire sa place dans cette mouvance laïque qui a su reconnaître en lui cette force là. Il est donc élu secrétaire de la commission « culture, jeunesse, loisirs » de la Fédération de l’Education Nationale (FEN) où il siège au bureau fédéral depuis 1971.

Très vite, en 1974 il succède à Jacques Marangé à la tête de la FEN. Il fera de cette organisation syndicale, une grande force syndicale aux côtés de la CGT, de FO et de la CFDT.

C’est en renforçant la majorité syndicale de la FEN autour de la laïcité, de la défense de la Fonction publique et des droits et libertés qu’il renforce le projet de l’Ecole de l’éducation permanente.

André Henry est l’homme de la FEN, il structure son organisation, encourage une équipe de secrétaire nationaux en charges des questions relatives à l’Education nationale, la Jeunesse et les sports, la Culture.

Cette évolution se fait dans un climat de tension avec le SNI qui ne voit pas toujours d’un bon œil cette montée en puissance de la FEN. Celle-ci connaît son apogée avec la reconnaissance en 1975 de la FEN comme organisation syndicale représentative par jacques Chirac, alors premier ministre. André Henry est l’homme qui contribue à la mise ne place d’une politique globale au niveau de la Fonction publique.

C’est la grande époque où la FEN mène avec la CGT, FO et la CGT de grandes actions. C’est tout au long de cette période que montent en puissance les effectifs scolaires à tous les échelons de l’école, de l’école primaire à l’université. Le plan Langevin-Wallon issu de la résistance est la référence, les contradictions politiques, en particulier l’épisode de la loi Haby (1975) accentuent la nécessité d’accentuer la pression sur la nécessaire démocratisation de l’école. André Henry met toute son énergie aux cotés d’Albert Guillot à définir et mettre en place le projet de l’Ecole de l’éducation permanente, en se fondant sur l’Ecole fondamentale du SNI. Toute l’action se fonde sur un cursus permettant d’aboutir à une formation professionnelle ou technologique à partir du baccalauréat et d’accéder à l’université. Enfin la notion de formation permanente est désormais au cœur de toutes les préoccupations dans une vision émancipatrice de l’homme.

André Henry s’attache aussi à rejoindre l’action syndicale à l’échelon international avec la Confédération internationale des syndicats libres.

C’est en 1974 qu’il adhère au parti Socialiste, comme simple adhérent.

Il sera prêt plus tard à intégrer un niveau d’action politique, opportunité que lui offre François Mitterrand en 1981 en lui confiant la responsabilité du Ministère du Temps Libre, innovation ministérielle voulue par Pierre Mauroy en référence à Léo Lagrange et le Front populaire.

Le décret de nomination en précisait la mission en ces termes : « conduire par l’éducation populaire, une action de promotion du loisir vrai et créateur et de maîtrise de son temps ». André Henry par son parcours et ses engagements apportait ainsi au nouveau gouvernement le soutien des œuvres laïques périscolaires. Le Ministère du temps Libre prend les commandes des administrations du tourisme, de la jeunesse et des sports.

Dès le départ, il aura sans doute le sentiment de n’être qu’un passager de la politique, passager éphémère et témoin symbolique d’une volonté hardie de « changer la vie », marque des années 1980 impulsé par les socialistes d’alors.

Les routes de François Mitterrand et d’André Henry s’étaient déjà croisées. Le Premier secrétaire du PS était même venu diner dans la petite maison de banlieue à Créteil du secrétaire général de la FN. Toujours en retard, ce qui agaçait considérablement André Henry, très ponctuel. Mitterrand monopolisait l’attention, séducteur comme toujours, surtout envers les femmes. Puis vint la victoire du 10 mai 1981, André Henry est convoqué quelques jours après, comme tant d’autre, rue de Bièvre peu après 22 heures, le Président le reçoit en robe de chambre et lui propose un ministère, ce sera celui du Temps Libre, l’hommage et la continuité avec 1936, les congés payés et reprendre l’œuvre de Léo Lagrange. Avec la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, les 35 heures (qui seront finalement à seulement 39H) … la logique d’une politique du Temps Libre semble naturelle.

Cette victoire de la gauche et la place qu’on lui propose arrivent après des décennies de luttes et d’attentes, comme d’autres, André Henry est plein d’espoir, il accepte.

Mais ces discussions avec François Mitterrand, selon André Henry cessèrent après le 10 mai 1981.

Ce sera donc l’installation, un peu à la va vite avec son directeur de cabinet Henry Grolleau, qu’il a connu comme secrétaire général du syndicat des Inspecteurs jeunesse et sport dans les locaux un peu surréalistes du service de la santé du ministère de la Marine, rue Octave Gréard. Mais surtout c’était le QG téléphonique de l’ancien candidat Valery Giscard d’Estaing.

Je suis arrivé peu après au cabinet, et je me souviens de mon bureau avec des dizaines de combinés téléphoniques, et des sonneries intempestives dont on n’arrivait pas à localiser l’origine.

Comme la politique c’est aussi faire des fleurs à tout ceux qui ont participé à la campagne, André Henry se voit affublé d’une ministre déléguée socialiste Adwige Avice à la jeunesse et aux sports et d’un secrétaire d’état au tourisme, le radical de gauche, maire de Lourdes ,François Abadie.

L’idée du ministère est belle, mais peu vraisemblable, dès les premières heures du ministère, nous sommes la cible facile des quolibets et des journalistes. L’époque des Trente glorieuses est derrière nous, en mai 1981 nous le savons pas encore, mais en moins de deux années la réalité économique rattrape ce gouvernement et le contraint à la rigueur. Et cela en sera fini pour un bon moment.

Nous faisons beaucoup de déplacements en province pour faire avancer les idées de « Maison du Temps Libre », de Vacances à la Découverte du temps libre, de la création du chèque vacances, de la réforme de la vie associative etc… mais nous remontons inexorablement sur Paris les poches pleines de doléances sur les fermetures d’usines et le chômage qui monte comme une vague. A nos propos sur le bon usage du temps libre on nous rétorque pouvoir d’achat.

Mais nos ennemis ne sont pas vraiment ceux auxquels nous nous attendions … d’abord les grandes fédérations d’éducation populaire restent les bras croisés en nous défiant de faire … d’agir, d’avancer … si l’administration de jeunesse et sport nous soutient, ce n’est pas toujours le cas du seul directeur d’administration centrale que nous avons nommé à la demande de Pierre Mauroy. Les autres nommés par la droite et toujours en place seront d’une parfaite loyauté à notre égard.

Enfin l’organisation tricéphale du Ministère nuit à André Henry, que ce soit Edwige Avice ou François Abadie pour des raisons différentes, ils tirent à hue et à dia, entretenant une guerre des cabinets qui met en rage le ministre du temps libre. Enfin ce sont deux ministres politiques qui disposent de puissants relais au gouvernement qu’André Henry n’a pas.

Et pourtant il va tenter, avec son équipe de cabinet très militante de faire bouger les choses malgré les embûches et les chausses trappes dans un esprit du loisir social emprunt de liberté.

Il va multiplier ses efforts et mettre sa volonté féroce au service de ce qu’il considère comme son idéal et celui de sa génération. Mais ces efforts sont venir se fracasser contre le mur des réalités qui sont une presse presqu’unanimement hostile à son ministère et à sa personne, une organisation administrative encore une fois rétive au changement, un secteur associatif trop prudent et ignorant des réalités économiques et enfin l’absence de relais politique à son action.

Il essuiera avec son équipe beaucoup de moqueries et de railleries comme peu d’hommes politiques : nous étions le ministère des zombies (puisqu’en temps libre), celui bien sûr de la fainéantise, de l’inutilité, une troupe de théâtre avait improvisé en quelques mois un spectacle parodique sur le thème Le cabinet du ministre du temps libre.

Amer, André Henry confie au journal le Monde qui consacre tout de même à l’occasion d’un anniversaire du 10 mai 1981 une double page à André Henry (Hommage bien tardif) « Politiquement, je n’ai pas su vendre mon affaire. J’aurais dû être plus pugnace … Les syndicalistes cultivent le compagnonnage. J’ai découvert qu’en politique, c’est chacun pour soi. On ne se regroupe que pour atteindre un objectif. »

C’est le rêve rattrapé par la brutale réalité.

Fin avril 1983, c’est la fin de l’expérience et toutes les questions que nous avions posées et mises en chantier … restent sans réponse.

André Henry apprendra sa disgrâce par la radio …

C’est un instituteur, que les hasards de l’histoire avait placé là qui s’en va … un peu amer mais fier des combats qu’il a tenté, il le raconte dans son ouvrage « Le Ministre qui voulait changer la vie », en forme de clin d’œil à un parti socialiste qui a si vite renoncé, lui à changer la vie.

Il laisse tout de même derrière lui le Chèque Vacances avec plus de cinq millions et demi d’utilisateurs aujourd’hui, le Conseil national de la vie associative, mais il échoue à faire voter un engagement du parti socialiste, à savoir la reconnaissance d’utilité sociale pour les associations.

Il ne mènera pas de carrière politique, juste un mandat de quelques mois comme conseiller municipal d’opposition à Epinal, où il avait été battu par Philippe Seguin.

Pierre Mauroy lui restera fidèle et lui donnera l’occasion d’occuper plusieurs fonctions dans l’administration : Délégué général à l’économie social, président de la Caisse nationale de l’énergie. En juillet 1989 il sera nommé inspecteur général de l’administration de l’Education national. Il consacrera une partie de son temps à la Mission laïque française Il prendra sa retraite en janvier 1995.

Il présidera l’ALEFPA, association laïque qui s’occupe des jeunes et adultes en difficultés sociales ou en situation de handicap, dont il est aujourd’hui le Président d’honneur.

Bibliographie

· Dame l’école aux Éditions Ramsey (1975)

· Serviteurs d’idéal aux Éditions Instant (1987)

· Conquérir l’avenir aux Éditions CIEM (1992)

· Le ministre qui voulait changer la vie aux éditions Corsaire (1996)

  • Joffre Dumazier« Le ministre du temps libre n’est pas le père Noël », Les Cahiers de l’animation, no 35,‎ mars 1982,

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