Annie Hall : l’amour en dents de scie selon Woody Allen

Publié le : 03 septembre 20185 mins de lecture

Grand adepte de l’autodépréciation, Woody Allen n’a pas tardé à faire des cafés-théâtres et des plateaux télévisés la tribune de sa propre caricature. À coups de prestations désenchantées, teintées d’autodérision, il n’a cessé de développer et de porter aux nues son personnage fétiche, un juif new-yorkais à la calvitie naissante, névrosé et pétri de complexes, obsédé tant par le sexe que par la mort. Annie Hall, ou le terrain de jeu de Woody Allen…

Version moderne des comédies sophistiquées des années 1930, l’agile et raffiné Annie Hall est l’énième terrain de jeu de cet antihéros caractériel et insaisissable. Loufoque et acéré, le long métrage prend pour cadre une métropole plus choyée que jamais, New York, et narre les péripéties, partiellement autobiographiques, d’un comédien perpétuellement indécis, mentalement instable, et atteint d’immaturité affective. Bras d’honneur à l’hédonisme, le récit, brut et carré, carbure à l’insatisfaction, l’angoisse, la contrariété et l’incompréhension. Mais se leste néanmoins d’une bonhomie ponctuelle.

Annie Hall, l’amour qui vacille

Chef-d’œuvre retors touchant à la rupture, l’introspectif Annie Hall met en scène une Diane Keaton changeante, en équilibre instable, malaisée en amour et quelque peu friande de cannabis. Sentimentalement liée à un Alvy Singer paternaliste et despotique, Annie est vigoureusement priée de se conformer à son goût pour le cinéma d’auteur et la psychanalyse, tandis qu’un voile de jalousie nappera continûment leur relation. Une union douce-amère, certainement plus toxique que salvatrice.

Si le couple central tient lieu de clef de voûte scénaristique, on le doit essentiellement à la vision lumineuse d’un technicien de l’ombre. Ralph Rosenblum, chargé du montage, a remanié Annie Hall avec la volonté manifeste de recentrer le récit sur une histoire d’amour chancelante. Pour cela, il décida d’amputer certaines séquences, dont le monologue d’ouverture, et de sacrifier sans état d’âme plusieurs intrigues secondaires. L’art de tailler dans le gras pour ne conserver que les pièces de choix.

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Démultiplication narrative

Aussi fluides qu’une bille dans une glissière, les répliques claquantes fusent et font le nid des bons mots. Marshall Michael Brickman et Woody Allen, les deux scénaristes, parviendront même à faire passer plusieurs expressions pimentées dans le langage courant. Travail d’orchestration, outil de précision, l’écriture donne ses armes à une œuvre fondatrice.

À l’efficacité du texte se superpose celle des images. Superbement photographié par Gordon Willis, Annie Hall regorge d’idées de réalisation et de séquences à marquer d’une pierre blanche : le repas de famille en compagnie d’une vieille grincheuse antisémite, la rencontre avec une journaliste par trop cérébrale, les séances improbables de psychothérapie, la file d’attente mouvementée au cinéma, l’emménagement impromptu d’Annie, le premier baiser fugace ou encore la pose grotesque avec les homards.

De bout en bout, Annie Hall garde la mélancolie et les relations accidentées en ligne de mire. Dès l’ouverture, Woody Allen songe à cette vie qui se consume lentement, brisant le quatrième mur dans un monologue aride et imprévisible. Ses descriptions convulsives se nichent en nombre dans une démultiplication sans bornes de la narration. Les procédés et effets se juxtaposent ainsi avec l’habileté d’un joueur de bonneteau : monologues intérieurs ou face caméra, sketchs, interviews, sous-titres, dialogues, split-screen, bonds temporels, mise en abîme, etc. Une débauche de moyens propre à répandre le percutant et le corrosif.

Rien ne viendra enrayer la mécanique allénienne. Ni le flux des joyeusetés, ni le reflux des mécontentements. Conviés au spectacle, Christopher Walken, Sigourney Weaver et Jeff Goldblum profiteront à plein du coup de projecteur, imposant leur minois dans une machine à Oscars parfaitement huilée. Qui trouverait à y redire ?

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