Cinéma d’animation (2) : Louis Clichy et la potion magique

Publié le : 01 octobre 201811 mins de lecture

Nous sommes aux studios Technicolor de Boulogne (Hauts-de-Seine), pendant la synchronisation audio de la scène finale du Domaine des Dieux, le premier film en 3D-relief adapté des aventures d’Astérix. Derrière la console, accompagné de deux techniciens, Louis Clichy, le réalisateur, supervise la scène. Avec ses lunettes rondes et son grand pull, il rappelle le Grand Duduche, de Cabu.

Sur l’immense écran, les guerriers gaulois se ­délectent sous une pluie de « potion magique ». La seconde d’après, une énorme explosion retentit, les murs des maisons tremblent, les soldats ­romains couverts de coquards volent par les fenêtres. La scène de la célèbre BD prend vie en trois ­dimensions. Impressionnant. « On a oublié le bruit de l’avion avant l’explosion, non ? », demande Louis Clichy à l’ingénieur du son, en faisant référence à ce gag anachronique.

Louis Clichy a 37 ans. Avec cette adaptation, il ­signe son premier long-métrage d’animation. «C’était un défi incroyable », se souvient-t-il. Astérix et ses compagnons, qui résistent encore et toujours à l’envahisseur romain, font partie de notre mythologie nationale. Huit films d’animation et quatre films en costumes joués par de célèbres acteurs français ont déjà été tournés. Et l’album original, Le Domaine des Dieux, 17e de la série, s’est vendu à un million d’exemplaires.

La « marque Astérix »

« Quand M6 m’a appelé pour travailler avec le scénariste Alexandre Astier, j’étais sous le choc, poursuit Louis Clichy. La marque d’Astérix est si forte, le personnage si connu.  » Comment mettre en mouvement une imagerie si célèbre sans la trahir ? Il faut une sacrée confiance en soi, mais aussi un savoir-faire éprouvé. Le jeune réalisateur a certainement ces qualités. Il n’a pas été choisi par la production par hasard : sa formation, sa ­rapide carrière dans l’animation ont joué pour lui.

Louis a fait ses classes aux Gobelins, la prestigieuse « école de l’image » de Paris. Y entrer a été dur. « J’ai présenté des dessins, des projets, mais je n’étais pas un as de la BD, se souvient-il. Déjà, je voulais mettre en scène. Contre toute attente, ils m’ont accepté. » Une de ses ex-professeurs de l’école, Hélène Beau, se rappelle : «  Nous avons tout de suite vu qu’il avait un regard, une originalité. Cela joue dans la sélection des élèves, même si nous ­tenons compte, avant tout, des qualités graphiques. »

« L’apprentissage aux Gobelins est difficile et très technique », se souvient Louis Clichy. Il lui a fallu deux ans pour améliorer son dessin et maîtriser les logiciels de conception et d’effets spéciaux. « On a commencé par dessiner et numériser des personnages. On a appris à former les volumes, à créer de l’épaisseur, à construire une perspective. » Ensuite, patiemment, il lui a fallu apprendre les étapes du processus d’animation. « Il s’agissait de mettre en mouvement les personnages comme des marionnettes. On travaillait sur le “posing” [les “poses-clés” du personnage], l’“acting” [les expressions”], le “timing” de chaque geste, puis l’intégration des éléments de décor dans la composition [le “compositing”]. »


Louis Clichy. | T.C.D/VISUAL PRESS AGENCY

 « Comme un rêve »

Nous voici dans la salle de première année des Gobelins, en section animation, où le jeune Louis a usé ses jeans. Une trentaine d’étudiants sont penchés sur leurs ordinateurs. Des dizaines de petits personnages s’agitent sur leurs écrans. Le professeur, Fred Nagorny, passe de table en table : « Ce mouvement manque de naturel », « C’est tout ce que tu as fait depuis hier ? » « J’ai tout perdu ce matin ! », répond l’intéressé, effondré. Chez les deuxième année, exercice imposé : réaliser une séquence en 3D de 10 secondes à partir de deux personnages dessinés. Alexandre Heboyan, 36 ans, un ancien des Gobelins qui vient d’achever un long-métrage, veille au grain. Qu’apprend-il aux élèves ? : «  L’importance d’avoir une belle lumière… Des trucs pour intégrer un élément 2D dans une scène 3D sans que cela se voie… Le travail dans le temps imparti, l’animation est un ouvrage de longue haleine.  »

A peine sorti des Gobelins, en 2003, Louis Clichy réalise A quoi ça sert l’amour ?, un court-métrage d’animation qui accompagne la chanson d’Edith Piaf et Théo Sarapo. Ce film primé lui vaut d’être appelé en 2005 chez Pixar, la société fondée en 1979 par George Lucas et rachetée en 1986 par Apple, puis, en 2006, par Disney. « Je me suis ­retrouvé à San Francisco, dans des locaux colossaux, au studio qui a réalisé le premier film d’animation entièrement numérique, Toy Story, raconte Louis Clichy. J’avais du temps, un matériel formidable, un véritable confort de travail. Cela semblait un rêve. »

« Hybridation de deux mondes »

 Il reste trois ans chez Pixar, où il se spécialise dans l’animation des personnages, tout en suivant des cours de scénario. Il travaille sur Ratatouille (2007), Wall-E (2008) et Là-haut (2009), qui sont devenus des succès mondiaux. « J’animais des courtes séquences, par exemple la scène de Wall-E où Eve, la femme robot, se lie d’amitié avec le cafard. Il fallait jouer sur l’expression, la gestuelle, les courbes d’Eve, et trouver des idées sur l’interaction entre le robot et l’insecte.  »

Après trois ans chez Pixar, Louis Clichy ­déchante. L’écriture de scénario lui manque. Il voudrait reprendre la réalisation. Il comprend qu’il est devenu un exécutant. « A force de manipuler la souris, j’avais attrapé une tendinite, confie-t-il. Il fallait que je me renouvelle» De retour à ­Paris, en 2009, il réalise plusieurs publicités et l’émouvant clip de la chanson de Louise Attaque Du monde tout autour (2011). C’est alors qu’il est approché par M6 Studio pour réaliser Le Domaine des Dieux, à partir d’un scénario écrit par Alexandre Astier, créateur également de la série historique fantaisiste Kaamelot (2005-2009) sur M6.

Son rêve prend forme : il va réaliser un long-métrage. Il se met au travail avec le scénariste. «  Il écrivait les dialogues, je faisais des croquis, puis on discutait. Parfois on s’engueulait, mais c’était enrichissantOn soignait le rythme, l’interaction des personnages.  » «  On n’a pas cessé de se disputer, mais c’est ce que j’aime, raconte de son côté Alexandre Astier. Aucun des deux n’aurait pu réussir sans l’apport de l’autre. Il y a une hybridation de deux mondes dans ce film.  »

Très pointilleux Uderzo 

Comment Louis Clichy a-t-il réussi à donner du relief aux personnages, à les animer tout en les respectant ? «  Le dessin d’Astérix se prête à la 3D. Ses héros sont expressifs, ils apparaissent de profil, de trois-quarts, ils ont déjà une épaisseur. Pour animer Tintin, Spielberg a dû créer un nouveau personnage, au visage différent. Avec ses deux points noirs à la place des yeux, Tintin passe difficilement en 3D. Avec le film, Le Domaine des Dieux a gagné en réalisme : nous avons ajouté de la texture aux cheveux et aux habits, nous avons soigné la forêt et les sous-bois, qui semblent plus organiques, nous avons agrandi le palais de César.  »

Albert Uderzo, qui est très pointilleux sur les ­reprises de ses dessins, reconnaît, dans la presse, la qualité de cette adaptation. «  Après plusieurs mois de tests de modélisation informatique et d’animation, j’ai finalement été convaincu par le travail du jeune réalisateur Louis Clichy et par celui du directeur d’animation Patrick Delage. Leur personnage d’Obélix était formidable. J’ai ensuite pris beaucoup de plaisir à faire des visites régulières au studio de production. »

Louis se souvient de ses discussions, parfois animées, avec le dessinateur : « Au début, il était hésitant, il critiquait le graphisme de certains personnages quand il s’éloignait trop de la BD. Nous rectifiions. En même temps, nous discutions comment forcément “tricher” pour passer en relief. » Que va faire Louis, maintenant que son rêve d’étudiant – réaliser un film – est accompli ? « Franchement, je suis au bout du rouleau, je vais me reposer. »

À VOIR « Astérix. Le Domaine des Dieux » film d’animation franco-belge de Louis Clichy et Alexandre Astier. Avec les voix de Roger Carel, Guillaume Briat, Lorànt Deutsch (1 h 25). En salles le 26 novembre.

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