Dallas Buyers Club : une rédemption calibrée pour Hollywood qui élude les vraies questions

Publié le : 11 août 202122 mins de lecture

Dallas Buyers Club est un film dont on a beaucoup entendu parler en bien au début de l’année 2014. En cause la performance des deux acteurs Matthew McConaughey et Jared Leto, oscarisés depuis, qui portent le film sur leurs épaules ; mais aussi une manière différente d’aborder le sida pendant les années où cette épidémie était mortelle quasiment pour tous.

Les idées qui suivent sont issues d’un commentaire faisant suite à une remarque sceptique d’un ami sur facebook qui n’avait pas du tout apprécié Dallas Buyers Club. Ce n’est donc pas une critique élaborée, mais cet article condense mes impressions suite au visionnage de Dallas Buyers Club.

J’étais impatiente de voir Dallas Buyers Club qui paraissait aborder enfin le sida autrement sans forcément recourir au pathos. Si ce pathos a pu donner de beaux films comme Philadelphia ou Un compagnon de longue date, il est trop souvent le seul ressort utilisé pour parler du sida et des malades du sida (ou de toute autre maladie), sachant que le sida, idéologiquement, en raison de ses modes de transmission et des populations initialement touchées, reste une maladie tabou qui interroge et dérange bien plus qu’un cancer, une crise cardiaque ou un AVC. Pour avoir vu au moins 80 ou 90% des films ou téléfilms sur ce sujet, je m’attendais à un film dérangeant, remuant, capable de pointer surtout les choix économiques et le fonctionnement d’un système médical et pharmaceutique, qui préféra sacrifier des malades faute de pouvoir générer de l’argent, plutôt que de les aider à survivre en laissant certains condamnés se débrouiller pour créer des systèmes de soins alternatifs. Pourtant le film Dallas Buyers club sur le papier très intéressant au demeurant m’a déçue à plus d’un titre et laissée un sentiment mitigé.

Dallas Buyers Club, une présentation médiatique erronée ou tronquée

Tout d’abord, même si ce n’est pas un défaut propre au film, la présentation médiatique de Dallas Buyers club a évité de parler de ce qu’est vraiment le sujet au nom d’une rédemption chère aux américains et donc d’une trajectoire personnelle grâce à la maladie… Dommage car le sujet serait plutôt la façon dont fonctionna l’Etat américain à travers la Food and Drug Administration pour préserver le monopole des compagnies pharmaceutiques officielles quitte à ce que des malades meurent plus vite pour tester l’efficacité des médicaments potentiels et empêcher tout recours à des médicaments alternatifs illicites mais capables d’aider certains à mieux survivre ou mourir plus confortablement ou décemment à une époque où l’épidémie tuait les malades comme des mouches durant la 2ème moitié des années 80…

Je déplore aussi que dans les critiques, Dallas Buyers club ait été souvent acclamé presque unanimement pour la seule performance de McConaughey, négligeant de facto celle de Jard Leto, bien moins caricaturale et au moins aussi saisissante de réalisme que les prestations de Gabriel Garcia Bernal dans La Mauvaise éducation ou de Johnny Depp, schizophrène qui jongle entre un personnage d’officier cubain pervers et violent et celui du travesti BonBon dans Before night falls.  A Matthew McConaughey, on peut reconnaître surtout  le mérite de sa transformation physique grâce à un régime drastique (plus de 20 kg perdus) à la limite de la mise en danger et pour plus de crédibilité encore, un visage émacié et émaillé de tâches de Kaposi qui renvoie toujours brutalement à la réalité de la maladie et aux stigmates qu’elle imprègne sur le corps. Matthew McConaughey a de sacrés airs de Ron Woodroof et on ne peut être qu’impressionné par le quasi mimétisme obtenu dans certaines scènes si l’on observe quelques photos du véritable Ron.

En revanche, dans le jeu de Matthew McConaughey, abonné aux comédies romantiques avant une traversée du désert et un renaissance grâce à ce film, il y a peu de nuances et d’intensité de mon point de vue ; l’acteur reste monochrome et sans aspérité. Qu’un hétérosexuel ait l’air d’un vrai sidéen, serait-ce là la révolution cinématographique de Dallas Buyers Club, 30 ans après l’apparition du sida? Hélas la manière dont la presse a résumé le sujet de Dallas Buyers Club ma gênée et même frustrée : on évoque l’histoire vraie de Ron Woodroof, consulté pour l’occasion, puisque ce dernier, mort en 1992 soit 7 ans après le diagnostic du VIH, a pu raconter son point de vue quelques mois avant son décès. A-t-on affaire à un biopic ou à un film sur les clubs qui s’ouvrirent clandestinement pour que tous les malades du sida puissent essayer de livrer bataille et ne soient pas oubliés par le pouvoir central américain? Finalement, les transformations physiques des deux acteurs  n’éclipseraient-elles pas ou ne tronqueraient-elles pas le thème?

Ron Woodroof ; un protagoniste opportuniste

Admettons le : le film raconte les 7 dernières années de Ron Woodroof et accessoirement le thème initial du modèle de Dallas Buyers Club et donc la façon dont le pouvoir politique américain a oublié les premières victimes du sida, pendant des années, car elles provenaient en majorité des milieux LGTB. Pourquoi Jean Marc Vallée ne gratte-t-il pas cette surface à peine évoquée pour mieux revenir sur l’histoire personnelle de Ron Woodroof? Probablement parce qu’il est plus facile de raconter la vie d’un anti héros avec tous ses défauts et les qualités qu’il va se découvrir grâce à la force que lui donne son combat pour vivre avec le sida.

Ron Woodroof prend presque toute la place (hélas peut-être?) dans le scénario de Dallas Buyers club, comme en témoignent la majorité des synopsis présentés dans les médias. Ron Woodroof est présenté en fait comme un mec homophobe, vulgaire, antipathique d’emblée, qui abuse de l’alcool et de toutes les drogues qu’il croise, qui couche à tout va quand il ne fait pas du rodéo ou n’essaie pas de flouer ses autres potes tout aussi étroits d’esprit. Puis quand Ron Woodroof apprend en 1985 qu’il va mourir du sida dans un mois du SIDA, selon le médecin, voilà que débute le déni très rapide, l’acceptation de la maladie par la compréhension de ce qu’elle est et le choix du combat. Quand il décide d’en savoir plus sur cette maladie qu’il croyait réservée aux homosexuels (surtout après la mise en lumière du décès de Rock Hudson) et que les médecins connaissent presque aussi mal que lui s’entame en définitive son aventure personnelle ; au départ pour défier les médecins qui l’enterrent, puis peu à peu pour trouver sa place dans une société qui l’exclut et pour lutter contre un système qui le condamne à brève échéance faute de soins. Tandis qu’il essaie de s’approvisionner non sans mal en AZT, médicament encore non homologué mais considéré par beaucoup de malades comme le seul à pouvoir aider à lutter contre le sida, Ron Woodroof frôle la mort et réalise que l’AZT est un poison qui tue encore plus vite que le sida et part à la recherche d’autres solutions.

Bien sûr, le réalisateur s’appesantit largement sur Ron Woodroof qui pour vivre et non juste pour survivre, déploie, avec sa tendance d’incorrigible bad boy arnaqueur, tous les stratagèmes pour chercher au Mexique puis ailleurs dans le monde tout ce qui pourrait l’aider à gagner du temps. C’est alors que lui vient l’idée de commercialiser les médicaments qu’il utilise, puisque des  dizaines de malades sont alors prêts à tout pour ne pas mourir aussi vite qu’on le leur annonce  …  Sa rencontre avec Rayon à l’hôpital, ce travesti qu’il méprise et traite souvent d’idiot mais avec qui il finit par sympathiser, lui permet pourtant de s’ouvrir les portes de la communauté Queer et gay, qui est alors la première frappée par le SIDA et pour beaucoup de gens, la seule. C’est plutôt cette relation affective entre l’anti héros incarnant l’hétéro à la sexualité agressive et débridée (Ron Woodroof) et le transsexuel Rayon (Raymond), un homme devenu femme se prostituant pour s’offrir des prothèses mamaires, qui prend le pas sur le sujet des Buyers clubs, au point de devenir centrale et de parasiter la réflexion et peut-être de nuire au message progressiste que voulait probablement délivrer Jean Marc Vallée au sujet de ces initiatives militantes autour du sida. D’ailleurs, certains membres de la communauté queer et gay américaine ont ouvertement critiqué les partis pris du film et le refus d’aborder les questions sociétales par rapport aux homosexuels et trans dans le contexte de la propagation du sida et la façon dont l’apparition et l’extension du sida ont fermé la porte aux tentatives de libération apparues à la fin des années 70 dans certaines villes comme San Francisco ou New York (voir article critique en anglais sur Dallas Buyers club).

Les buyers clubs face à l’inertie du pouvoir politique américain?

Quand on sait que l’AZT longtemps limité à des essais cliniques a été mis sur le marché au compte goutte, pour une durée limitée et à des prix prohibitifs de plus de 10000$ pour une année de prescription, on comprend dès lors pourquoi le Dallas Buyers club a pu voir le jour et a fait des émules partout sur le territoire américain. Plus d’une dizaines de buyers clubs auraient fleuri dès le milieu des années 80 et prospéré jusqu’au milieu des années 90 pour répondre aux besoins de plusieurs dizaines de milliers de consommateurs désespérés et prêts à prendre autant de risques que l’utilisation de produits inconnus ou aux effets tout aussi mortels que le sida pour prolonger leur vie de quelques jours ou semaines. Forcément, le Dallas Buyers club dérange, en proposant illégalement des doses de DDC et de protéine peptide T, et d’autres thérapies alternatives pour un abonnement de 400$ par mois. Est-il moral de faire un trafic de médicament et d’obliger les adhérents à engager leur seule responsabilité quand ils prennent des traitements venant d’origines très variées et dont la pureté n’est jamais assurée? La question morale est-elle plus justifiée dans le cadre de questions sanitaires à un moment très contextualisé historiquement de l’histoire du sida plutôt que pour la vente d’héroïne ou de cocaïne? Les traques de la Food and Drug Administration, l’autorité américaine autorisant la commercialisation des médicaments, pour faire fermer le Dallas Buyers Club rappellent l’agressivité mise en place par les responsables des Buyers clubs pour se procurer des produits antiviraux à tout prix partout dans le monde et jouer aux apprentis sorciers, sans toujours pouvoir vérifier s’ils sont préférables aux traitements institutionnels alors très mortels car les doses trop fortes accéléraient l’aggravation de l’état de santé des patients.

Si on voit plutôt bien se développer le Dallas Buyers club et on suit son expansion, car l’arrogance d’un casse-cou  comme Ron Woodroof permet de l’alimenter de toutes sortes de produits et lui donne une réputation nationale, on ne cerne pas forcément la thèse que soutient le réalisateur à propos de l’inertie du pouvoir central et du ministère de la santé qui protège visiblement les seuls intérêts de l’industrie pharmaceutique. Pourtant, certains médecins comme le Dr Sacks (incarnée par Jenifer Garner) ont risqué leur carrière en attirant l’attention de leurs supérieurs sur leurs observations à propos des effets indésirables de l’AZT et l’accélération de la mort des patients avec les doses officiellement recommandées,  alors que des médicaments alternatifs toujours non homologués semblaient améliorer la durée de vie des malades. Au-delà des raisons prétendument sanitaires sur les dangers qu’il y a à utiliser médicament non homologué qui n’aurait pas été testé suffisamment, comment explique-t-on le choix de laisser des malades mourir sans les autoriser à même essayer de se soigner? Est-ce pour des raisons financières (manque de rapport pour les laboratoires), pour des raisons éthiques et morales (refus d’utiliser les malades comme cobayes ce qui sera pourtant fait) ou parce que la maladie touche une population très spécifique à l’époque et une population encore marginale malgré l’apparente sortie de la ghettoïsation  de la communauté gay durant la deuxième moitié des années 70 aux USA? Le réalisateur effleure ces questions, mais ne s’engage pas sur une thèse.

Dallas Buyers club ; Longueurs, manichéisme et réponses éludées

Pendant les deux heures que dure le film Dallas Buyers Club, je me suis ennuyée à plusieurs reprises et surtout pendant le dernier tiers qui aurait pu être réduit pour gagner en densité… Jean Marc Vallée dont je ne connais guère les précédentes oeuvres oublie selon moi de donner un peu de personnalité et d’âme à un Dallas Buyers Club beaucoup trop lisse, alors qu’il y avait vraiment matière à en faire quelque chose de grand et osons le dire de vraiment troublant, perturbant et profond.

Jared Leto est pour beaucoup dans l’intérêt que j’ai porté au film, au final, il est selon moi le seul à vraiment réaliser une performance en finesse, intéressante et touchante, même s’il est vrai que le personnage et son histoire en soi prêtent davantage à l’empathie que le mauvais garçon intolérant et rustre qui incarne avec presque tous les clichés non sans caricature la mentalité du cow boy et en filigrane la mentalité texane ultra conservatrice. D’ailleurs, c’est justement après la mort de son personnage que je me suis le plus ennuyé, car le personnage de Ron Woodroof sonne faux, à cause ou malgré ces clichés justement et rien dans l’interprétation de Matthew de McConaughey me capte ou m’émeut.

En réalité, il m’est impossible de comprendre comment Ron Woodroof est passé d’un con***** abject (reconnaissons le) à un homme admirable sensible à la différence quelle qu’elle soit parce qu’il aurait fini par éprouver le mépris et le rejet de ses amis. Cette approche est bien trop manichéenne et finalement peu empathique, mais surtout, elle ne prend pas en compte l’importance de la cupidité, au coeur de tout le film, tout en étant jamais creusée, comme elle aurait mérité de l’être… N’est-ce pas parce que Ron Woodroof fait au début fortune sur le dos de mourants du sida que ceux-ci, majoritairement homosexuels, leur deviennent sympathiques et aimables alors qu’il les méprisait quelques mois plus tôt? Suffit-il de passer de l’homme sans le sou qui trempe dans les petites magouilles pour ne pas rembourser ses dettes, à l’homme plus aisé financièrement, du moins pendant un moment, pour voir ceux qui le révulsaient avec plus de tolérance? Quid de la bisexualité supposée du véritable Woodroof confiée par des connaissances ou son ex femme mais qui ici n’apparaît pas du tout pour expliquer la manière dont il s’intègre dans un milieu comme celui des gays et trans avec finalement un très grande facilité? Dallas Buyers club n’en suggère rien. Et si les traits de l’homophobe viscéral allègrement dépeint mais dont les proches ne semblent pas donner la même vision, avaient été exagérés voire imaginés pour mieux éviter certaines interrogations chez le spectateur ? Forcément si cette supposition était fondée, la thématique  chère au cinéma hollywoodien de l’homme opprimé qui se bat seul contre le système américain (Philadelphia, Erin Bronkovitch, Mystère Silkwood) devient plus défendable et crée un ressort dramatique important.

Le traitement du film Dallas buyers club a soulevé chez moi plusieurs questionnements, le principal portant sur la manière dont s’opère la rédemption si rapide et apparente du personnage de Ron Woodroof : comment d’homophobe devient-il véritablement homophile et devient-il le meilleur ami d’un transsexuel (rien que ça!) parce que celui-ci l’aide à trouver des clients pour ses doses de DDC ou d’autres médicaments ? Comme pour d’autres questions pourtant importantes liées au sujet de l’industrie pharmaceutique et du monde médical et au silence du pouvoir central face à la gravité des dégâts du sida, je reste dubitative sur le semblant de réponse que me donne le réalisateur. Serait-ce parce que le sida aux USA fut longtemps considéré comme une maladie des gays et trans, que les politiciens n’ont pas accéléré les tests des premiers médicaments pour mettre au point des traitements de toute façon inaccessibles pour beaucoup car hors de prix?  Y aurait-il une forme de double peine pour cette communauté LGTB qui semblait atteindre juste avant l’apparition du sida une forme de « libération » à la fin des  années 70. Une libération peut-être intolérable pour les républicains très conservateurs qui ont vu dans le sida une manière de ramener ces populations dans leur ghetto social et désormais économique et sanitaire dès lors que le sida se déclarait? Jean-Marc Vallée élude tous ces aspects, de mon point de vue, ce qui rend le personnage finalement simpliste et la réalisation floue et approximative. Entre les gentils et les méchants, le monde de Dallas Buyers Club est sans tonalité de gris et c’est bien là le principal reproche que j’adresserais au film.

Dallas Buyers Club n’ose pas non plus aborder réellement et en profondeur la communauté gay pourtant stigmatisée au point qu’on a parlé au début du sida de Gay-Related Immune Deficiency ou autrement dit en français de « cancer gay ». Tout est à peine effleuré et surtout évité. Jean Marc Vallée gomme aussi la question de la conscience transsexuelle dans l’Amérique des années 80 et le personnage de Rayon n’est absolument pas analysé comme il aurait du l’être. Il est quasiment résumé à un partenaire commercial de Ron Woodroof pour permettre à un hétérosexuel d’être entendu par la communauté LGTB.

Par l’évolution du personnage de Ron, qui assainit sa vie quand il commence à vivre de son commerce de médicaments, qui choisit de mieux manger et de corriger sa pratique sexuelle non protégée pour ne plus exposer des séronégatifs à sa maladie, alors que Rayon conforte ses abus dans son mode de vie à risque et doublement déviant (transsexualité et prostitution) et en meurt plus rapidement et logiquement, que nous suggère-t-on? Ce que finalement bien des américains ont pensé et continuent peut-être à penser : les personnes qui choisissent une bonne vie n’ont pas le sida, ceux qui mènent une vie immorale méritent le sida, longtemps qualifié de châtiment divin… Dallas Buyers club a été calibré pour ne surtout pas trop déranger et pour fonctionner à Hollywood et aux Oscars en dépit d’un petit budget (5 Millions de $) et de 20 ans de préparation réalisée avec le souci de s’informer auprès de Ron Woodroof en personne… Ainsi, la dimension politique que pose l’enjeu du sida dans la société américaine n’est jamais vraiment traitée pour laisser la morale teintée de bonne conscience de gauche (celle si sensible au jury des oscars), l’emporter face à la supposée intolérance des conservateurs.

Après un tel constat, peut-être devrais-je revoir Dallas Buyers club dans quelques temps pour comprendre ce qui m’a échappé et pour savoir si seul l’ennui d’une réalisation monocorde explique mes interrogations, si je suis carrément passée au travers d’éléments de réponses, parce que je relâchais mon attention à cause de certaines longueurs ou si justement tout est éludé ce qui rend le film peu efficace dans son message …?

Qu’est ce que la fleur de la vie ?
Qui est réellement Pierre Cornu ?

Plan du site