Dans les yeux « d’Estelle » !

Publié le : 11 août 202113 mins de lecture

Que peut-il se passer sous le crâne (parfois obtus d’obus…) de certains êtres humains ? C’est une question qui mijote depuis la création du monde (et je ne parle pas du journal d’Hubert). C’est une question qui a donné, à la littérature, ses plus belles pages, et aux médecines en psy-quelque-chose, ses penseurs et ses fous.

Alors, qui est « Estelle » ? C’est un profil facebook qui se crée chaque jour. En deux semaines, j’en ai déjà relevé au moins 10. Tous construits de la même façon : même iconographie, mêmes listes d’abonnements anarchiques. Du fabriqué à la va-vite, sans cohérence, où s’acoquinent Le Pen, père, fille et petite-fille, Taubira, Le Front Nat’, Génération Identitaire, Edwy… et j’en passe. Je gage que tous ceux-là hurleraient à se voir conviés à la même table. Ça finirait sans doute par des assiettes de purée écrasées sur le nez et des verres de pinard ébouriffant la mise-en-plis.

« Estelle », dans les premiers temps de son existence arachnéenne, voulant faire joli visage et bonne figure, affichait la photo d’une frimousse avenante… piquée sur l’Est-Eclair. Fallait oser et trouver ! Compte tenu des propos « qu’Estelle » déverse, et qui sont à la modération ce que le Pastis est au sirop d’anis, je n’aurais pas apprécié qu’elle me pique ma face.

Mais, comme pour un alité entubé de toutes parts dans les draps blancs et rêches d’un pieu d’hôpital, il y a des constantes. Et ces constantes sont édifiantes.

…De la manière de dire…

Je tiens « qu’Estelle » est un scripteur allophone, c’est-à-dire qui n’a pas été scolarisé en langue française, ou dont la langue maternelle n’est pas le français. Ça n’exclut d’ailleurs pas qu’il le soit devenu, français, ou qu’il vive ici. Et c’est dans la typologie des fautes que j’appuie mon raisonnement.

Prenons ce commentaire :

La formulation « est-ce que… auraient-ils » montre une absence de maitrise de la structure de la phrase en français, et notamment de l’usage des pronoms. La pronominalisation (et sa forme anaphorique dans certains cas) est l’un des points les plus ardus à acquérir. Pour donner un exemple, un locuteur turcophone aura infiniment plus de difficultés à manier ces outils que sont les pronoms (ou les articles d’ailleurs), qu’un locuteur italophone. L’italien est une langue romane, comme le français et les pronoms existent. Le Turc n’a pas de pronoms. Dans les deux cas, les transferts de logique entre langue de départ et langue en cours d’apprentissage ne représenteront pas le même effort.

À noter « qu’Estelle »se trompe souvent d’article ou s’en passe.

Prenons cet autre commentaire, récupéré dans un échange :

« Iraq » avec un « q ». C’est une bonne traduction du nom arabe de ce pays (lire de droite à gauche).

Sauf qu’un français aurait, selon toute probabilité, écrit « Irak ». En effet, en arabe, il existe deux sons qui ressemblent à notre son « que », mais nous avons du mal à faire la différence, parce que dans notre langue, le « qaf » n’existe pas. C’est la même lettre que celle qui sert à écrire « niqab ».

J’ai noté pour le nom de la ville de Mossoul le même type de fonctionnement. En arabe, Mossoul commence par les lettres : mim-waw ; ce qui se prononce « mou ». Or, « Estelle » écrit à plusieurs reprises « Moussol » pour parler de cette ville.

Enfin, et pour en finir avec des exemples, « Estelle » fait des inversions d’ordre typographique : « … etc ». Les points de suspension sont situés avant l’acronyme. Habitude d’écriture de droite à gauche ?

Quoiqu’on fasse comme effort, on a un accent dans l’écriture autant que dans la parole… Et c’est là que me saisit une horrible pensée : et si « Estelle » était un francophone lettré qui imite un accent pour jeter le discrédit sur la communauté arabophone… ça pourrait même arriver, vu l’ambiance en ce moment.

… Et ce qui est dit…

Globalement, les commentaires « d’Estelle » sont un tissu… que dis-je un tissu ! Une bâche à piscine olympique, au moins, d’âneries. Ils font dans la caricature, l’altération d’informations dont les bases sont factuelles. Dans le cas « d’Estelle », la forme interrogative est utilisée à des fins manipulatoires : affirmer sans s’en donner ni l’air ni la musique.

Sont entassés en vrac, soit dans ses propos, soit dans ceux de ses souteneurs (et j’emploie ce terme sciemment) :

  • Le nazisme et sa cohorte d’horreurs ;
  • La dictature française et l’interdiction de certaines manifestations ;
  • L’amalgame entre le CRIF et la LDJ ;
  • La séparation du CRIF et de l’État (???) ;
  • Des appels à déchoir des citoyens français de confession juive de leur nationalité ;
  • Des sabotages hypothétiques de lignes SNCF et RER pour empêcher des manifestants de rejoindre un lieu de manifestation ;
  • Un appel à la fin de la marginalisation de la communauté musulmane.

Vous m’en direz tant ! Quel salmigondis !

Et j’ai, pour ma part, quelques précisions à amener à certains de ces « arguments » ou à ceux balancés par les souteneurs de la peut-être-demoiselle.

…Du sémite…

Qui a dit qu’un descendant d’un peuple sémite ne pouvait pas être antisémite ? J’ai dû le dire… et même le penser ! Horreur. Ma culture d’alors ne devait pas être assez fouillée. Pourtant, en se posant, en se renseignant un tantinet, on finit par réaliser que l’argument ne tient pas. Il y a plusieurs angles sémantiques sous lesquels aborder le mot « sémite ». En linguistique, par exemple, il fait référence à un groupe de langues. Pour autant, ce groupe de langues ne témoigne pas d’une égalité tribale des locuteurs. Le français et le danois appartiennent au groupe des langues indo-européennes, je doute fort qu’elles fassent référence aux mêmes tribus d’origines et de colonisation des terres. Bref… je ne vais pas décortiquer toutes les nuances liées aux branches balto-balkaniques ou encore italo-celtiques… C’est pas 50 nuances de gris, c’est 5.000 nuances de grigris.

Ou alors on part du principe que l’Homme est issu du grand Rift Africain et nous sommes tous à la fois sémites et aryens… (Ce que j’ai tendance à croire, j’adore l’idée d’une seule souche).

Sem est l’ancêtre d’Abraham/d’Ibrahim, il appartient à l’un des peuples originaires d’Asie occidentale (ancienne Mésopotamie et du Moyen-Orient), que la tradition fait descendre de Noé. Ça, c’est pour l’aspect historico-religieux, puisque la trace de ce docte ancien est liée aux écrits bibliques. Or je lis souvent des maghrébins se revendiquer d’être sémites. Ah bon ! Ce n’est pas exclu, mais ce n’est pas certain non plus. Parce que le Maghreb est encore à plus de 60 % berbère et que les berbères ne sont pas forcément sémites. C’est compliqué, l’Histoire. Bref, être sémite, ça se revendique quand ça arrange, comme la virginité. Et ça se recoud, même !

Enfin, il y a l’antisémitisme qui est une doctrine. L’antisémitisme, ce n’est pas être contre les sémites, c’est entretenir de la haine contre les Juifs en tant que groupe « religieux », « racial » ou « ethnique ». Et le terme est attesté dans « Le Trésor de la langue française » depuis 1890. Cette doxa est née avec l’ère industrielle.

Il a fallu que j’entame des études de sociolinguistique pour me rendre compte de la polysémie du terme. Mais allez expliquer ça dans un commentaire Facebook !

J’utiliserai désormais, pour plus de clarté, le terme de judéophobie en lieu et place d’antisémitisme.

…Cliquer sans neurone…

Réflexe pavlovien que de « liker » quand on repère ces deux termes collés comme des chiens (c’est le cas de le dire) pendant la copulation : « Israël = nazis ».

Je ne soutiens pas Israël, loin s’en faut… mais les tombereaux de haine que je lis, la connerie des commentaires –prendre en référence le nazisme- me donnent envie d’aller me terrer au fond d’un trou (de houris) en attendant que le paysage se désertifie en France et sur internet. On va ben l’avoir not’ p’tite guerre webo-civile à force de se comporter comme des canis lupus familiaris.  En même temps, ça ne fera pas beaucoup de morts, ça ne blessera que les égos. C’est plus facile, la guerre du web, que d’aller là-bas. Perso, j’adore le Maghreb, j’adore la culture arabo-andalouse. Mais quand je baguenaude au fil de l’info, la plupart des propos relèvent d’une judéophobie viscérale, pas du raisonnement, ni même de l’empathie pour les civils palestiniens victimes de ce terrible conflit. Et, pour être totalement honnête dans ma détestation de l’affaire « Estelle », ceux qui s’accrochent à ce like comme des punaises à un matelas, ont, en grande majorité, des patronymes à consonance « étrangère ». Alors clairement, et heureusement, tous les français d’origine étrangère ne sont pas des cons, mais tous les cons français d’origine étrangère adulent leur « Estelle ». Les morts palestiniens, ça fait kiffer comme on dit. Ça permet de se déverser. Ça permet de gueuler (comme dans mon quartier en ce moment) « mort aux fe******uj ». C’est à gerber !

Après, discuter point à point des exactions que commet Israël (le mur, le blocus, les bombardements, etc…), effectivement ça mérite débat. Mais pas comme ça. On peut aussi avoir un pincement au cœur concernant la manière dont « nous » avons élevé une partie de « notre jeunesse » : colère, inculture, rejet de la différence, sentiment d’impunité, manque de civisme, et j’en passe. Et ça vaut pour les deux camps.

… Beau sujet d’étude…

« Estelle » est un troll de la pire espèce, qui véhicule sous couvert d’un profil qui se veut sympathique, des idéologies meurtrières. Et je tiens qu’il existe quelque part son pendant dans la sphère pro-israélienne. Je ne l’ai simplement pas repéré.

On pourrait prendre ça pour un jeu de gosse, mais c’est bien plus que ça !

En tout cas, j’ai récupéré ses différents profils, quasiment l’ensemble de ses propos et je saurai quoi en faire dans le cadre de mes recherches qui regardent les commentaires de l’information sur Facebook.

J’ai lu, il y a peu, un article qui se posait la question suivante : « Peut-on faire politique avec un troll ? ». On ne peut pas. Et on ne pourra bientôt plus tant cette catégorie de gugus tend à envahir tous les espaces où l’on devrait réfléchir.

Et pendant que je rédigeais cet article « Estelle » est devenue « Alain Martin »… comme l’âne.

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