Dette grecque, mode d’emploi

Publié le : 09 janvier 201914 mins de lecture

Qui possède la dette grecque ?

La Grèce a été sortie des marchés en mai 2010 (qui réclamaient des taux d’intérêt impossibles à payer) et a dû faire appel pour se financer (c’est-à-dire pour faire face à ses dépenses courantes et honorer les intérêts et les remboursements de sa dette) à l’aide européenne.

À la suite des programmes d’assistance financière de 2010 et 2012, près de 80 % de sa dette (321 milliards d’euros, soit 177 % du PIB, une forte augmentation en pourcentage depuis 2010 dû au recul du PIB) est désormais détenue par la zone euro (prêts bilatéraux et Mécanisme européen de stabilité) et le FMI, soit exactement 226,5 milliards d’euros (voir la ventilation dans le tableau ci-contre). À cette somme, il faut ajouter les quelque 25 milliards de bons du Trésor grec (le chiffre 2014 n’est pas encore public) que la Banque centrale européenne (BCE) possède encore suite à son intervention sur le marché secondaire (celui de la revente) entre 2010 et 2012 : en février 2013, elle en détenait encore 34 milliards et le montant total a sans doute atteint, au plus fort de la crise, une cinquantaine de milliards d’euros. Au total,  251,5 milliards sont donc aux mains de créditeurs publics, les 69,5 milliards restants étant logées dans les banques, les fonds de pension et les assurances (essentiellement grecs pour ces deux dernières institutions).

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La dette grecque est-elle soutenable ?

A priori, non, même si le budget grec est en excédent primaire (hors paiement des intérêts de la dette) depuis 2013 et que la croissance est enfin de retour depuis 2014 (entre 2 et 3 % attendus en 2015). Le problème est qu’il faudrait, pour rembourser la dette, que l’État dégage un excédent primaire de 4,5 % du PIB durant une très longue période (ce que prévoit le Memorandum listant les réformes à accomplir imposé par la Troïka), ce que seules la Belgique et l’Irlande ont réussi à faire dans le passé. Beaucoup estiment cet objectif impossible à atteindre d’autant qu’il supprime toute marge de manœuvre budgétaire au gouvernement grec.

Mais, en réalité, la dette n’est pas le problème actuel de la Grèce et ne le sera pas jusqu’en 2023 : en effet, la charge de la dette ne représente que 2,6 % du PIB, bien moins que pour le Portugal (5%), l’Italie (4,7%) ou l’Irlande (4,1 %). Elle se situe au niveau de la France (2,2% du PIB) et de l’Allemagne (1,9%)… La zone euro s’est montrée bonne fille avec la Grèce, contrairement à ce que veut faire croire Syriza. Ainsi, ce pays ne paye aucun intérêt sur les 141,8 milliards d’euros prêtés par le MES : en novembre 2012, la zone euro lui a accordé un moratoire de dix ans et a rallongé la durée des prêts jusqu’à 32 ans. En clair, c’est seulement à partir de 2023 qu’Athènes commencera à payer les intérêts aux taux auxquels le MES a emprunté, soit 1,5 % en moyenne, une somme à laquelle s’ajoutera les dix ans d’intérêts non payés entre 2013 et 2023. Klaus Regling, le patron du MES, estime le cadeau fait à Athènes à 8,6 milliards d’euros par an, soit 4,7% du PIB grec. Et ce n’est qu’en 2045 qu’elle devra rembourser le capital.

Même chose pour les prêts bilatéraux accordés par les pays de la zone euro en 2010 (soit 52,9 milliards, dont 11,4 milliards pour la France). En 2012, la maturité de ces prêts a été étendue à 30 ans avec, là aussi, un moratoire de dix ans sur le paiement des intérêts (mais qu’il faudra payer ensuite, évidemment). Les taux d’intérêt de ces prêts, diminués à plusieurs reprises, restent supérieurs à 50 points de base à ceux du marché (la France est censée récupérer 80 millions par an, soit 2,4 milliards au terme des 30 ans).

La BCE, de son côté, ne fait aucun bénéfice sur les obligations qu’elle a acheté sur le marché secondaire : elle reverse tous les intérêts perçus et les éventuelles plus-values réalisées lors de l’arrivée à échéance (si le prix de l’obligation a remonté) à la Grèce. Athènes ne rembourse donc que le prix effectivement payé par la BCE.

Au final, la charge de la dette, pour la Grèce, se résume aux obligations détenues par la BCE, le FMI et les quelques créanciers privés. Il est donc inexact d’affirmer que c’est elle qui grève l’action de l’État. Les raisons sont plutôt à rechercher du côté de son administration inefficace, de son incapacité à faire rentrer durablement l’impôt (par exemple, depuis l’annonce des élections anticipées, une partie des Grecs a arrêté de payer ses impôts d’où un manque à gagner estimé à 2 milliards…), de la corruption endémique, de sa bureaucratie, de son clientélisme et de ses dépenses mal orientées (l’armée plutôt que la santé).

À consulter aussi : Aux racines de la crise grecque

Et si la Grèce faisait défaut ?

La Grèce a déjà fait défaut : en octobre 2011, la zone euro a décidé de restructurer la dette privée, une restructuration qui sera effective au printemps 2012. Les créanciers privés (banques, assurances, fonds de pension) ont dû accepter une perte de 50 à 70 % sur la valeur des bons du Trésor qu’ils détenaient, le tout pour un montant de 115 milliards d’euros…

Cette fois-ci, un défaut sur la dette détenue par les États et le MES impacterait directement les budgets nationaux des pays de la zone euro et donc les contribuables. Outre les prêts bilatéraux, les partenaires d’Athènes, y compris des pays plus pauvres qu’elles, comme le Portugal, la Slovaquie ou la Lettonie, sont garant des prêts accordés par le MES. Il en coûterait ainsi 41 milliards à la France, soit près de 700 euros par habitant (une soixantaine de milliards pour l’Allemagne, 44 pour l’Italie, 29 pour l’Espagne, etc.).

Dans un tel cas, la Grèce ne pourrait plus jamais demander l’aide de la zone euro et ne pourrait pas non plus se financer sur les marchés. Pour rappel, elle n’y a toujours pas accès, contrairement au Portugal ou l’Irlande sortis du plan d’aide européen. Il faudrait qu’elle assure ses dépenses avec ses seules recettes, ce qui est possible, son budget étant à l’équilibre primaire. Mais le gouvernement ne pourrait pas financer son plan de relance qu’elle estime à 12 milliards d’euros faute d’argent frais…

Pis, s’il venait à l’esprit du gouvernement Tsipras de ne pas rembourser le FMI ou la BCE, ce serait la guerre. Avec le FMI qui ne peut accepter une telle perte, mais aussi avec l’institut de Francfort qui, dans un tel cas, couperait l’accès des banques grecques à ses liquidités, ce qui provoquerait un effondrement du système financier local. Le « Grexit » deviendrait inévitable : un départ de la zone euro qui ne pourrait se faire qu’en quittant l’Union (c’est le traité), ce qui la priverait des aides du budget européen (2,9 % du PIB en 2013…). Et la Grèce n’a aucune matière première, aucune industrie digne de ce nom qui lui permettraient de survivre seule.

Que faire pour aider la Grèce ?

Contrairement aux fanfaronnades de Yanis Varoufakis, le ministre des Finances, la Grèce a désespérément besoin de l’aide européenne. « Ils vont en prendre conscience rapidement », confie un responsable français. « La Grèce est dans une situation très fragile et il suffit de peu de chose pour déclencher une dynamique mortelle pour ce pays », insiste un diplomate européen. Il ne reste plus que deux milliards d’euros dans les caisses, somme qui sera dépensée à la fin du mois. En tout, les créanciers internationaux de la Grèce sont censés lui verser 7 milliards d’euros fin février : 1,8 milliard d’euros pour le MES qui correspondent à la dernière tranche de prêts européens, une ristourne sur les intérêts et les plus values versées par la Grèce et une nouvelle tranche d’aide du FMI (qui doit encore verser en tout 16,3 milliards d’euros). Mais ces versements sont conditionnés à un accord sur les nouvelles réformes que doit mener la Grèce, accord qui n’a pu être trouvé avec le précédent gouvernement celui-ci ayant refusé les nouvelles coupes budgétaires exigées par le FMI et la BCE.

Si Syriza s’engageait à mener une vraie réforme de l’État (fisc, justice, État de droit, administration), un accord pourrait être trouvé avec les Européens, même la BCE ayant pris conscience que le peuple grec ne peut plus supporter de nouveaux sacrifices. Quant au FMI, dur parmi les durs, il pourrait être influencé par le président américain Barack Obama qui a estimé, le 1er février, qu’on ne pouvait pas continuer « à pressurer de plus en plus une population qui souffre de plus en plus », tout en insistant sur le « terrible besoin » de réformes de la Grèce.

Les créanciers pourraient aussi renoncer temporairement à l’objectif d’un surplus budgétaire primaire de 4,5 % du PIB pour dégager des marges de manœuvre. Syriza voudrait aller plus loin et restructurer la dette, ce qui ne veut pas dire un « haircut » pur et simple (un abandon de créances), dont aucun pays européen ne veut entendre parler, même du côté du Portugal, de l’Espagne et de l’Irlande. D’ailleurs, Yanis Varoufakis ne le demande plus. Une idée en vogue consisterait à allonger les maturités de 30 à 50 ans et diminuer les taux d’intérêt sur les prêts bilatéraux (les taux du MES sont ceux du marché), ce qui éviterait d’inscrire une perte nette dans les budgets nationaux. Syriza voudrait aller plus loin et obtenir, par exemple, que le paiement des intérêts des prêts européens soit indexé sur la croissance et que les obligations détenues par la BCE soient remplacées par des obligations perpétuelles qui produiraient des intérêts indéfiniment. Ces aménagements –qui devront être acceptés par un certain nombre de parlements nationaux, dont le Bundestag allemand- sont possibles, la zone euro ayant décidé en novembre 2012 que la dette grecque serait réexaminée lorsque le budget grec serait à l’équilibre primaire.

Une autre idée, plus audacieuse, défendue par Syriza, serait de mutualiser la partie de la dette qui a servi à sauver les banques de la zone euro (notamment françaises et allemandes), en leur permettant d’obtenir le remboursement de leurs obligations grecques (et donc d’éviter la faillite), et pas seulement la Grèce. Ainsi, selon une étude du think tank Bruegel, les banques de la zone euro ne possédaient plus, fin 2013, que 12 milliards d’obligations grecques (contre 128 milliards en 2008), dont 10 milliards logées dans les banques allemandes qui sont revenues sur le marché grec depuis 2013 (elles en possédaient 32 milliards en 2010). Les banques françaises, elles, restent à l’écart (1,4 milliard). En 2010, elles comptaient 58 milliards d’obligations dans leurs portefeuilles. Si les banques britanniques (4,3 milliards contre 13 milliards en 2008) et américaines (2,5 milliards contre 14 milliards) se sont aussi désengagées jusqu’à la fin 2012, elles sont revenues sur le marché grec en 2013 et 2014 et possèdent à peu près le même nombre d’obligations qu’avant la crise. On mesure donc à quel point le plan d’aide a permis de stabiliser le système financier européen, même si les institutions financières ont dû accepter en 2012 une restructuration qui leur a fait perdre 115 milliards d’euros.

Le problème d’une telle mutualisation est qu’il faudrait offrir le même traitement à l’Irlande et au Portugal. Mais, au fond, tous les citoyens européens ayant bénéficié du sauvetage des banques, ne serait-il pas normal qu’ils contribuent aussi au remboursement de cette dette ?

La Troïka est-elle morte ?

Composée de hauts fonctionnaires représentant la Commission, la BCE et le FMI, et chargée de négocier les programmes de réformes contreparties des aides financières, elle est devenue le symbole de l’Europe technocratique et désincarnée et a concouru à la montée de l’euroscepticisme. Le Parlement européen a réclamé, en mars 2014, sa suppression, jugeant sa légitimité juridique et démocratique nulle. Jean-Claude Juncker, alors qu’il était candidat à la présidence de la Commission, en a même fait un point fort de son programme pour les Européennes de mai dernier. Le gouvernement Syriza, en annonçant qu’il ne négocierait plus avec elle, a précipité sa fin. Désormais, la Grèce discutera directement avec les ministres des Finances de l’Union, le président de la Commission et la directrice générale du FMI.

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