Effervescence à Bruxelles

Publié le : 28 août 201815 mins de lecture

Le choix du nouveau Président de la Commission Européenne donnera une indication déterminante sur la pratique institutionnelle du Traité de Lisbonne : seule, la désignation de Jean-Claude Juncker, candidat déclaré devant les électeurs du parti arrivé en tête, correspondrait à l’émergence d’une véritable démocratie parlementaire européenne. Aux chefs d’État et de gouvernement de prendre leurs responsabilités …historiques.Cela fait bientôt quatre semaines que les citoyens européens ont élu leurs représentants au Parlement Européen et toujours aucun nom ne se profile à l’horizon pour la succession de José Manuel Barroso à la Présidence de la Commission Européenne.

Grâce au Traité de Lisbonne qui renforce la démocratie dans le fonctionnement des institutions européennes, les députés européens auront d’ici quelques mois la possibilité de ratifier ou de rejeter le choix du prochain Président de la Commission Européenne. En principe, le choix est fait par le Conseil Européen (l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement) à une majorité qualifiée (la règle de l’unanimité n’est plus en vigueur).

Forcer le processus démocratique

Comme toujours, il y a les textes et leur application. C’est le social-démocrate allemand Martin Schulz, le Président du Parlement Européen sortant (2012-2014), qui, le premier, a voulu pousser l’avantage des parlementaires accordé par le Traité de Lisbonne pour aller plus loin : dès mai 2013, il avait annoncé son intention d’être candidat à la Présidence de la Commission Européenne. C’est audacieux, c’est même risqué, mais le pari est déjà partiellement gagné.

D’une part, Martin Schulz a réussi à convaincre ses amis du PSE (Parti socialiste européen qui regroupe tous les socialistes et sociaux-démocrates européens et appelé formellement « S & D », socialiste et démocrate) de la nécessité de désigner, avant les élections européennes, leur candidat à Bruxelles. Et de les convaincre de le choisir, lui. Pour beaucoup, notamment au PS français, la présence de Martin Schulz (excellent francophone par ailleurs) est une divine surprise. Essayer de ramener le débat électoral sur un enjeu européen et pas seulement un enjeu hexagonal était un bon moyen de ne pas trop mouiller le gouvernement français (mais ça n’a pas vraiment fonctionné).

D’autre part, par une sorte d’effet de dominos, la démarche du PSE a obligé les autres formations européennes à désigner leur propre candidat à Bruxelles : la gauche radicale a désigné le Grec Alexis Tsipras, les Verts ont choisi la très dynamique (et charmante) Allemande Ska Keller (en binôme avec le Français José Bové), les centristes européens (libéraux et démocrates) ont investi l’ancien Premier MInistre belge Guy Verhofstadt et le PPE (le centre droit européen) a opté pour l’ancien Premier Ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, en concurrence avec l’ancien ministre français et actuel commissaire européen sortant Michel Barnier. Quant à l’extrême droite, elle s’est toujours désintéressée des institutions européennes, sauf pour profiter de tous les avantages matériels et médiatiques qu’elle peut en tirer.

Les dernières semaines de campagne électorale ont été très fortes puisque le 15 mai 2014, par exemple, lors d’un débat télévisé dans l’hémicycle même du Parlement Européen à Bruxelles, les cinq candidats estimaient qu’il fallait que le prochain Président de la Commission Européenne fût l’un d’entre eux. Une sorte de Serment du Jeu de Paume.

On pourrait presque croire que c’était un coup d’État, une sorte de destin forcé vers une véritable démocratie parlementaire (qui, du reste, serait même plus démocratique qu’en France dans la désignation de son exécutif).

Deux conceptions d’un même traité

Les deux interprétations sont toutes les deux pertinentes. L’une plus nationale et l’autre plus européenne.

La première, c’est que le Conseil Européen est chargé de désigner un nom, celui qu’il souhaite en dehors de toute pression, parmi ou pas parmi les candidats « autoproclamés », et le Parlement Européen ne fait que son travail de ratification.

La seconde, c’est que le Parlement Européen, fort de son onction du suffrage universel, peut refuser de ratifier tout candidat désigné qui ne serait pas parmi les cinq candidats cités. Un peu comme le bras de fer entre le Cartel des gauches et le Président Alexandre Millerand en 1924.

Cette épreuve de force va occuper voire monopoliser l’actualité européenne probablement jusqu’à l’automne prochain (avec la désignation de chaque commissaire européen qui doit également avoir le quitus du Parlement Européen).

Ce qui se noue dans les semaines actuelles est donc crucial vis-à-vis de la démocratisation des institutions européennes par la pratique et pas par les textes dont l’interprétation, comme on vient de le voir, est toujours sujette à caution.

La position britannique

On comprend alors pourquoi le Premier Ministre britannique David Cameron, qui avait déjà annoncé dès la fin 2013 qu’il refuserait la désignation de Martin Schulz, a annoncé qu’il refusait également la désignation de Jean-Claude Juncker.

Il aura toujours beau affirmer que l’un ou l’autre serait trop « europhile », la moindre des caractéristiques qu’on pourrait attendre du futur Président de la Commission Européenne, c’est justement qu’il ait foi aux institutions européennes et qu’il les fasse vivre avec un minimum de respiration démocratique. Bref, cet argument n’a pas plus de sens que de réclamer qu’un athée anticlérical soit élu pour prochain pape.

La vraie peur de David Cameron, c’est que si l’un des cinq candidats « autoproclamés »… enfin, pas si « autoproclamés » que cela, car ce sont les groupes politiques qui balaient près des quatre cinquièmes des sièges nouvellement pourvus qui les ont désignés, ce n’était donc pas que des « caprices » personnels, si l’un des cinq candidats était réellement désigné pour diriger la prochaine Commission Européenne, alors on franchirait une étape décisive dans la démocratisation des institutions européennes et en 2019, le précédent ferait jurisprudence et se déroulerait un réel débat européen.

La réalité arithmétique

Avec la formation des groupes au Parlement Européen nouvellement élu (Marine Le Pen n’a que jusqu’au 24 juin 2014 pour trouver un ou deux partenaires supplémentaires pour créer son groupe, en difficulté depuis la dernière « saillie » de son père), la situation s’est un peu clarifiée, au moins du point de vue arithmétique.

Comme prévu, aucun groupe n’a obtenu de majorité absolue, à savoir 376 sièges (le Parlement Européen compte 751 députés). Le premier groupe, celui qui a la majorité relative, est le PPE avec 221 sièges (soit 29,4% du nombre total de sièges), suivi du PSE avec 191 sièges (25,4%), puis les centristes européens de l’ALDE avec 67 sièges (8,9%), les conservateurs (essentiellement britanniques) avec 64 sièges (8,5%), la gauche radicale avec 52 sièges (6,9%), les écologistes avec 50 sièges (6,7%) et le groupe ELD qui correspond à l’UKIP britannique de Nigel Farage et au M5S italien de Beppe Grillo, 48 sièges (6,4%).

Avantage pour Jean-Claude Juncker

C’est donc très naturellement que Jean-Claude Juncker, candidat du PPE arrivé en tête, revendique la fonction. Mais cela signifie qu’il faudrait qu’il trouve une majorité, et pas seulement auprès des centristes de l’ALDE mais aussi auprès du PSE ou des Verts. D’ailleurs, dès le 27 mai 2014, la conférence des présidents du Parlement Européen l’a désigné comme candidat pour diriger la Commission Européenne.

La logique d’une démocratie parlementaire européenne qui se dessine, c’est que Jean-Claude Juncker soit choisi. C’est en ce sens que Daniel Cohn-Bendit (qui n’était plus candidat cette année) a exhorté ses amis écologistes de soutenir la candidature de Jean-Claude Juncker pour simplement soutenir le principe démocratique européen, hors de tout calcul politicien.

Du côté du Conseil Européen

Mais il faut aussi que le Conseil Européen le désigne formellement. Soutenu par Angela Merkel, il ne semble cependant pas faire l’unanimité. David Cameron est contre le principe (je viens de l’expliquer plus haut) et François Hollande voudrait même une personnalité française pour redonner goût de l’Europe aux Français.

Et il y a deux ou trois candidats français susceptibles d’être proposés : Michel Barnier, Christine Lagarde (l’actuelle directrice générale du FMI) et l’ancien Ministre de l’Économie et des Finances Pierre Moscovici, qui n’a pourtant aucun leadership, et qui, de toute façon, devrait être désigné dans quelques semaines commissaire européen pour la France (malgré l’immense défaite du PS aux élections).

Pour reporter sa décision très délicate à mûrir, le Conseil Européen a adopté la tradition belge en désignant Herman Van Rompuy, le Président du Conseil Européen sortant (dont il faudra aussi trouver un successeur, pourquoi pas Jean-Claude Juncker pour sauver la face ?), comme médiateur pour suivre les négociations.

Selon certaines sources (dont « Le Monde » du 16 juin 2014), Herman Van Rompuy pourrait quand même proposer formellement la candidature de Jean-Claude Juncker au Conseil Européen des 26 et 27 juin 2014. Ce serait aussi le choix de la République tchèque dont le Secrétaire d’État aux Affaires européennes, Tomas Prouza, a présenté clairement la situation : « Les conservateurs [PPE] ont gagné les élections, je pense que c’est à [leur] parti de choisir leur candidat. Il vaut mieux accepter ce candidat même s’il ne plaît pas à tout le monde plutôt que passer les six prochains mois à chercher, en vain, le candidat idéal. » (« Les Échos » du 16 juin 2014).

D’autres candidats en réserve

Soutenu par Jacques Chirac et Gerhard Schröder, Guy Verhofstadt avait déjà été « pressenti » en 2004 pour être nommé à la tête de la Commission Européenne mais cela fut refusé à cause du veto britannique (à l’époque Tony Blair). Aujourd’hui, Guy Verhofstadt voudrait se retrouver de nouveau utile en proposant une large union avec le PPE, l’ADLE et le PSE. Tandis que Martin Schulz, de son côté, ne désespère toujours pas de trouver une majorité qui le soutienne en incluant la gauche radicale et les écologistes. Ce 18 juin 2014, Martin Schulz s’est fait d’ailleurs réélire président du groupe S&D du Parlement Européen (poste qu’il avait avant 2012).

D’autres perspectives semblent pourtant se dessiner. En effet, le PPE et le PSE ne seraient pas opposés, dans un plan B, au soutien de la candidature de l’ancien Président du Conseil italien Enrico Letta (dont Pierre Moscovici est un grand ami). Brillant connaisseur des institutions européennes, il serait soutenu également par son rival Matteo Renzi qui lui a ravi en février dernier la tête du gouvernement italien.

Mais toute solution autre que les cinq candidats déclarés avant les élections serait pourtant un camouflet démocratique et renforcerait l’euroscepticisme qui s’est déjà traduit par l’arrivée de près de cent cinquante députés européens ouvertement antieuropéens.

David Cameron, le fond et les arrière-pensées

Deux conceptions vont donc s’affronter ces prochaines semaines au sein du Conseil Européen, entre une conception supranationale qui veut parlementariser la vie politique européenne et une conception souverainiste qui veut préserver les États de leurs prérogatives européennes (je note que ce débat restant ouvert, il n’a donc jamais été encore tranché jusqu’à maintenant).

D’ailleurs, il serait ridicule de balayer toutes les critiques de David Cameron. Certaines sont fondées. Dans une tribune publiée notamment dans le journal « Le Monde » le 13 juin 2014, il a expliqué très judicieusement qu’il fallait moins d’Europe et mieux d’Europe. Qu’il fallait réduire le champ de compétence de l’Union Européenne (qu’elle ne s’occupe plus de la longueur des bananes par exemple) et qu’elle se concentre au seul problème fondamental, à l’emploi, et donc aussi à la croissance.
Et je pense qu’il n’a pas tort.

Certains évoquent cependant le jusqu’au-boutisme de David Cameron comme une simple stratégie de rapport de forces (apparemment peu suivi autour de lui) pour imposer son candidat commissaire Andrew Lansley au poste de Vice-Président de la Commission Européenne en charge du marché intérieur, de la concurrence et de l’énergie.

Le problème de ces discussions sur le futur Président de la Commission Européenne, c’est qu’on ne parle pas de ce qu’il fera pour les cinq prochaines années, quelles seront ses perspectives, ses objectifs, et quelle réponse il apportera aux nombreux abstentionnistes ou électeurs de candidats eurosceptiques qui ont « envahi » la plupart des paysages politiques nationaux de l’Union Européenne.

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