Grèce: des négociations au finish

Depuis jeudi dernier, le malade grec a mobilisé : jeudi, un Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne) ; lundi, un Eurogroupe suivi d’un Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro ; mercredi soir, un Eurogroupe ; aujourd’hui : un Eurogroupe suivi d’un Conseil européen et sans doute, demain ou lundi, d’un nouvel Eurogroupe.

Sans compter les réunions techniques, les réunions à deux, à trois, à quatre. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, a quasiment planté sa tente au rond-point Schumann à Bruxelles, à mi-chemin de la Commission et du Conseil européen…

Les négociations entre la Grèce, d’une part, la zone euro et le FMI, d’autre part, ont largement battu les records de durée de l’histoire communautaire. Cela fait cinq mois que le gouvernement Syriza/Anel (gauche radicale/droite radicale) discute avec ses créanciers, sans guère de résultat. Or, l’horloge tourne inexorablement : il ne reste plus que cinq jours avant le 30 juin, date d’expiration du second programme d’aide financière et date à laquelle Athènes devra rembourser 1,6 milliard d’euros au FMI, une somme qu’elle ne pourra payer que si ses créanciers lui versent les 7,2 milliards promis. Les plus anciens comparent cet affrontement aux marathons agricoles des années 70 au cours desquels les Six de l’époque s’empaillaient sur la fixation des prix, encouragés à l’intransigeance par des manifestations de paysans souvent violentes. Jacques Chirac aimait raconter l’un de ses exploits : avoir réussi à tenir sept jours et sept nuits à Luxembourg, alors jeune ministre de l’Agriculture de Georges Pompidou…

Pourquoi ça coince ?

Dimanche soir, Alexis Tsipras a envoyé à ses partenaires un projet de compromis signé de sa main, une première. Un geste apprécié, car en cinq mois la valeur de la parole grecque s’est effondrée, les négociateurs, tant au niveau technique qu’au niveau politique (celui de Yanis Varoufakis, le ministre des Finances), ayant souvent été contredit par Athènes quelques heures après avoir conclu un accord à Bruxelles. La méfiance a atteint un tel sommet que le négociateur en chef du FMI, le Danois Poul Thomsen, s’est contenté, ces derniers jours, d’envoyer un fonctionnaire junior ne disposant d’aucune autorité… Ambiance.

Lundi soir, après la réunion du Conseil européen de la zone euro convoquée en urgence vendredi dernier, tout le monde pariait sur un accord, la Grèce ayant fait un effort important pour non seulement équilibrer son budget, mais dégager un excédent budgétaire primaire (avant charge de la dette), certes sérieusement revu à la baisse par ses partenaires : les mesures proposées étaient censées rapporter 2,69 milliards d’euros en 2015 et 5,2 milliards en 2016 (2,87 % du PIB). Las : dès le lendemain, le FMI a passé le projet grec au karcher. Publié par le Wall Street Journalet le Financial Times, le document revu et corrigé ressemblait à une copie d’étudiant barrée de rouge par un professeur acrimonieux… Un rien humiliant pour la partie grecque.

Sur le fond, l’organisation dirigée par Christine Lagarde, soutenue depuis par la zone euro, reproche au compromis grec de miser essentiellement sur des hausses d’impôts frappant, notamment, les entreprises et d’oublier les coupes dans les dépenses, ce qui risque d’étouffer définitivement la reprise économique. Le compromis grec donne, de fait, l’impression de vouloir préserver à tout prix les retraites (le régime étant gravement déficitaire) et la fonction publique au détriment de l’économie réelle et de l’avenir de sa jeunesse.

Parmi les points de désaccord : la trop forte hausse de l’impôt sur les sociétés, la taxe spéciale de 12 % sur les bénéfices des entreprises supérieurs à 500.000 euros ou encore la taxe sur les jeux. En revanche, les créanciers estiment qu’il faut que la réforme de la TVA permette de dégager un gain de 1 % du PIB (la Grèce propose 0,74 %). Dans le viseur, en particulier : le passage de 6 à 23 % de la TVA sur la restauration (Athènes a accepté que la TVA sur les hôtels passe de 6,5 % à 13 %). Au chapitre des coupes dans les dépenses, les créanciers exigent une accélération de la réforme des retraites, avec notamment un recul de l’âge de la retraite de 62 à 67 ans et à 40 annuités dès 2022 (et non 2025) et une augmentation des cotisations sociales dont les retraités étaient exonérés jusqu’à présent. Ils veulent aussi des économies plus conséquentes dans le budget de la défense (de 200 à 400 millions).

Pourquoi la zone euro refuse-t-elle de restructurer la dette grecque ?

Pour ne rien arranger, la zone euro refuse de faire le geste qui permettrait à Tsipras d’avaler une pilule nettement plus amère qu’attendu : répéter leur engagement de novembre 2012 d’examiner la soutenabilité de la dette grecque, ce qui ouvrirait la porte à une restructuration (sous forme d’un allongement des remboursements de 30 à 50 ans). Même si la dette détenue par les États et le Mécanisme européen de stabilité (195 milliards d’euros sur 251,5 milliards d’euros) ne pèse pas sur les finances publiques grecques pour l’instant (moratoire sur les intérêts jusqu’en 2023 et maturités portées à 30 ans), elle explique pourquoi les créanciers exigent un excédent budgétaire primaire : il s’agit de dégager de l’argent pour un futur remboursement au détriment de la relance…

Mais affirmer trop clairement que la zone euro va encaisser une perte risque de compromettre l’approbation de l’éventuel compromis par plusieurs Parlements nationaux, en Allemagne, en Finlande (dont la nouvelle majorité est très remontée contre toute aide à la Grèce) ou aux Pays-Bas. D’autant qu’il va sans doute falloir remettre une vingtaine de milliards au pot pour éviter à Athènes un retour prématuré sur les marchés. Bref, si la restructuration de la dette est une urgence politique pour Tsipras, elle est un épouvantail politique pour la plupart de ses partenaires, même si ceux-ci ne se font pas d’illusions.

Quelles sont les marges de manœuvre d’Alexis Tsipras ?

Le projet de compromis du gouvernement grec a mis en fureur l’aile gauche de Syriza, à tel point que Tsipras a dû retirer, mercredi soir, deux mesures qu’il proposait, dont l’augmentation des cotisations sociales sur les retraites (que les créanciers jugent déjà insuffisantes…). Il faut dire que la marge de manœuvre du Premier ministre grec est très étroite : entre 40 et 45 % de ce conglomérat de petits partis d’extrême gauche (maoïstes, trotskistes, communistes staliniens, eurocommunistes) et d’anciens cadres du PASOK (parti socialiste) sont clairement en faveur d’une rupture avec « Bruxelles » et le FMI, assimilés à des forces d’occupation dignes du nazisme, d’un retour à la drachme et à la constitution d’un nouveau front des « non-alignés » version 2015 qui irait de Caracas à Pékin en passant par La Havane, Moscou et Athènes. Ainsi, ce matin, Panagiotis Lafazanis, le ministre de l’Énergie, représentant du courant le plus dur de Syriza, a même affirmé que la Grèce devait tourner la page de l’euro et chercher ailleurs de nouvelles alliances…

La majorité du parti, elle, est réaliste, mais est loin d’être convaincu par les bénéfices de l’intégration communautaire : elle savait surtout que pour se faire élire, les Grecs étant massivement attachés à l’euro, Syriza ne devait pas attaquer directement la monnaie unique, mais l’austérité. Ces « Européens » espéraient que les créanciers, effrayés par les risques de contagion d’un éventuel « Grexit », accepteraient un compromis qui leur serait défavorable. Ils se sont rapidement rendu-compte qu’ils se trompaient lourdement : d’accord pour laisser les Grecs choisir les coupes budgétaires et les augmentations d’impôts nécessaires pour équilibrer le budget, d’accord pour redonner des marges de manoeuvre budgétaires à la Grèce en revoyant à la baisse l’exigence d’un excédent primaire (avant charge de la dette), mais pas question de courir le risque d’un nouveau déficit d’ici un an ou deux, ce qui impliquerait un nouveau plan de sauvetage… Tsipras n’a d’ailleurs trouvé aucun allié en Europe et s’est même mis à dos les pays de la zone euro les plus pauvres qui ont contribué au sauvetage de son pays et estiment que la Grèce n’a pas été jusqu’au bout de la purge nécessaire (Lettonie, Lituanie, Estonie, Slovaquie, Slovénie, Portugal). L’Allemagne, le bouc émissaire facile, est donc loin d’être isolée au sein de la zone euro…

Si le soutien de son parti est fragile, Tsipras peut compter sur celui de l’opinion qui lui est largement favorable, ce qui lui donne de l’air. Selon un sondage GPO-Mega Channel effectué la semaine dernière, plus de 56 % des Grecs sondés (contre 36,4 %) estiment que ce sont les créanciers qui sont responsables d’une absence d’accord, 54,3 % contre 43,8 % approuvent la façon dont les négociations ont été menées par le gouvernement et 47,3 % estiment que Syriza devra rester au pouvoir en cas d’échec. Et, cerise sur le gâteau, en cas d’élections anticipées, il obtiendrait le même score qu’en janvier dernier alors que Nouvelle Démocratie (conservateurs) ne recueillerait que 23 % des voix, soit un écart de treize points… De quoi faire rentrer dans le rang une partie des députés Syriza qui seraient tentés par une fronde à la Vouli, le parlement monocaméral grec.

Reste-t-il encore du temps ?

Très peu : même si la Grèce parvient à rembourser le FMI le 30 juin, elle sera confrontée à une nouvelle échéance le 20 juillet, date à laquelle elle doit rembourser 3,5 milliards d’euros à la Banque centrale européenne (des obligations rachetées sur le marché secondaire et qui arrivent à échéance). Le pays sera donc en défaut de paiement soit le 30 juin, soit le 20 juillet… Sauf un éventuel compromis auquel tout le monde affirme encore croire.

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