L’arbre qui cache la forêt

Placez cinq criminels endurcis dans une cellule confinée et ils auront tout le loisir de planifier leur prochain coup. Surtout si une main invisible se met à jouer les marionnettistes. Au même titre que la parade d’identification, durant laquelle le spectateur se confond avec le témoin, la séquence de détention provisoire s’impose comme une scène fondatrice, où chacun se sonde et se jauge, avant que ne s’enclenche le ballet des intrigues à tiroirs et des jeux de pistes labyrinthiques.

Retour vers le futur. Un bateau en flammes, des dizaines de cadavres. Alors que les forces de police tentent vaille que vaille de démêler le vrai du faux, l’interrogatoire de Verbal Kint, petite frappe infirme, résonne plus que jamais comme une trame narrative, promesse d’un récit tout sauf linéaire et de sauts temporels parfaitement orchestrés. Odyssée fiévreuse et passionnante, Usual Suspects s’abandonne alors sans réserve à un écheveau feuilletonesque, œuvre d’un Christopher McQuarrie méritoirement oscarisé pour la cause.

Keyser Söze, la mythification en mouvement

Jalonné de séquences de haut vol, Usual Suspects enfile les perles comme on déballe des poupées russes. L’écriture, élevée au rang d’outil microchirurgical, réconcilie le polar avec la narration fragmentée, multidimensionnelle, se conjuguant à tous les temps, et à tous les tempos. Non content de radiographier la pègre et ses manipulations cyniques, Bryan Singer enrobe son rejeton de dialogues bien troussés et d’une réflexion nécessaire sur les processus de mythification et de mystification. Ainsi, Dave Kujan, agent de police dupé de bout en bout, devient malgré lui le porte-parole d’un public ivre de fausses pistes.

Marotte et clef de voûte scénaristique, Keyser Söze fascine et alimente jusqu’à l’écœurement les fantasmes les plus fous. Présenté avec éclat comme un cataclysme ambulant, puits à névroses doublé d’un tueur impitoyable, il serait du genre à transformer la moindre contrariété en un gigantesque bain de sang. Prétexte aux distorsions et aux perceptions erronées, il réduit en miettes la véracité du récit tel que rapporté par Verbal Kint. Une allusion à peine voilée au maillage de chimères qui conditionne le septième art.

L’ombre de Welles

Malgré un cachet visuel un peu fade, Bryan Singer ne ménage pas ses effets. Il passe les docks au filtre orange, opère un fondu millimétré sur une tasse de café, travaille les inclinaisons, règle ses scènes d’action comme du papier à musique et s’appuie très ingénieusement sur le montage nerveux et dédaléen de l’indispensable John Ottman. Ne dispensant les indices qu'au compte-gouttes, cultivant l'art du trompe-l'œil et du faux-semblant, son Usual Suspects s’offre même un retournement final du meilleur acabit.

Actualisant des œuvres de la trempe de Rashômon et Dossier secret, sillonnant de long en large la fosse aux serpents, Bryan Singer collectionne les éléments idoines, les dialogues velus et les jeux de masques (Kevin Spacey, magistral en caméléon humain). Réunis en faisceau, les maillons scénaristiques ne cessent de questionner les faits et fantasmes, trame de fond d’un polar touffu et ténébreux, prêt à se parer de toutes les broderies thétiques.

Envoûtant et cérébral, l’ambivalent Usual Suspects porte discrètement le sceau des indémodables, ces œuvres appelées à faire école et à s’ériger en références culturelles.

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