« L’Arriviste » : reportage dans les faubourgs d’Omaha

Il suffit de battre le pavé grisant d’Omaha pour tâter le pouls et prendre la pleine mesure du maelstrom en cours. Dans les cafés, aux abords des écoles, et même lors des offices paroissiaux, les langues se délient, la défiance se met à poindre et les commentaires vont bon train. Jamais démunie de superlatifs, la presse locale fait volontiers ses choux gras de l’indignation collective, égratignant au passage, et sans tempérance, les différents échelons d’une hiérarchie scolaire aux abois. « Plus personne ne sait précisément combien de cailloux il peut y avoir dans les souliers de la Carver High School », résume Anthony Reeves, conseiller municipal d’opposition, proche du Parti républicain.

Scandales en série

Les premières salves eurent lieu peu après la démission de Jim McAllister, conseiller du lycée et professeur d’histoire civique, accusé d’avoir falsifié les résultats de l’élection estudiantine qu’il supervisait. Une supercherie aux conséquences fâcheuses, puisque l’ancien footballeur Paul Metzler fut indûment élu président du Conseil, au détriment de Tracy Flick, une élève ambitieuse que l’on dit « brillante et très impliquée dans la vie quotidienne de l’établissement ».

Si l’affaire fait grand bruit, on ignore encore les motivations ayant présidé au trucage du scrutin. Selon certaines sources, l’explication la plus plausible tiendrait à une ultime leçon de civisme adressée à une étudiante « solitaire, hystérique, égomaniaque et trop zélée ». D’autres préfèrent pointer du doigt les récents déboires sentimentaux de Jim McAllister, « pantin désarticulé à l’esprit faussé par les ruptures ». Pour rappel, cette élection avait déjà été entachée par une nébuleuse histoire d’affiches vandalisées et l’éviction subséquente du candidat reconnu comme responsable des faits.

Un nouveau scandale pourrait toutefois reléguer tous les autres au second plan. Des parents tourmentés nous ont affirmé qu’un professeur aurait été congédié plus tôt dans l’année en raison d’une « relation inappropriée » avec Mlle Tracy Flick. Cet enseignant aurait depuis lors quitté le foyer conjugal et se trouverait présentement dans le comté du Milwaukee. Selon ces mêmes sources, l’homme était relativement proche de Jim McAllister. Peut-être faudrait-il y déceler un lien de causalité ?

Alir Feyk Peyhper

23 octobre 1998

Nebraska Tribune

Alexander Payne porte l’affaire Carver High School au cinéma

Nous faisions récemment état, dans ces mêmes colonnes, de la pluie de scandales qui s’est fraîchement abattue sur le lycée George Washington Carver, situé dans les faubourgs d’Omaha. Appâtée par l’emballement médiatique attenant à l’affaire, la machine hollywoodienne s’est rapidement mise en branle. Il n’aura ainsi fallu que quelques semaines au réalisateur et scénariste Alexander Payne pour présenter à un parterre de cinéphiles avertis, membres de la communauté Sens Critique, un film tiré de ces événements, sobrement intitulé L’Arriviste. Si la projection a quelque peu été chahutée par les bordées d’insultes que se sont échangées les quatre derniers compétiteurs d’une Coupe en tout point obscure, force est de constater que l’accueil a été globalement enthousiaste.

Morceaux choisis :

– « J’aurais vendu ma mère pour voir Reese Witherspoon en tenue d’écolière. Et plutôt deux fois qu’une. » ;

– « Quelle exquise délectation que cette modélisation de l’expansion sans bornes d’une ambition condensée dans une mixture juteuse et pulpeuse de fulgurances émotionnelles et d’intériorisations implicites presque confuses, légèrement et subrepticement voilées. » ;

– « Vous savez, moi, les films postérieurs aux années 1960… Et pas le moindre Chinois à l’horizon en plus ! » ;

– « J’ai adoré, mais je suis roux. Ça compte quand même ? »

Lara Piah

3 décembre 1998

Nebraska Tribune

Paire d’as, garrot de cœur

Pour Alexander Payne, le second film sera celui de l’immaturité. Celle qui plane imperturbablement sur la Carver High School, petit lycée de banlieue sans histoire, bientôt au bord de l’abîme. Celle qui étreint et anime chacun des protagonistes : la jeune Tracy Flick, expédiée dans les brumes de l’ambition, mais aussi son professeur d’histoire civique, prêt à diligenter un mépris tenace. Celle, enfin, qui esquisse les contours d’un jeu de massacre aux frontières poreuses, apparaissant d’abord en filigrane, puis éclatant au grand jour.

Des sourires hautains aux épaules voûtées, des coups de menton aux regards fuyants, il n’y a qu’un pas… que d’aucuns s’empressent de franchir. L’Arriviste outrepasse la simple chronique d’une ambition à la hussarde ; c’est aussi, et surtout, une fable satirique, un regard perçant sur les vies hagardes et contusionnées, un poème parabolique sur les insidieux vernis de respectabilité. Une œuvre allergique aux enclaves, servie par un duo tranchant, parfois magnétique, capable de mettre tant aux prises qu’à l’index.

Sur la périphérie d’Omaha s’étend un invisible et pernicieux manteau d’hypocrisie. On n’y compte plus les coups fourrés, ni même les existences vouées à la débandade. Alexander Payne y entremêle de bon gré des intrigues conquérantes, épigrammes chargées de vie et d’à-propos, en rupture avec tout angélisme. Un banquet au fumet délicat, bariolé par la narration plurielle et le contraste des appétences. Une dérision aux rejaillissements tentaculaires, enivrante comme une bouteille de rhum déjà sévèrement purgée.

Jamie Revenge

9 décembre 1998

Nebraska Tribune

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