Le diable est dans les détails: Quand les photos sur internet servent les théories du complot

Publié le : 11 août 20217 mins de lecture

Certains ont vu apparaître le diable dans les fumées du World Trade Center, à New York, le 11 septembre 2001 (capture d’images de la télévision américaine CNN).

L’interprétation biaisée, voire farfelue, des images et des photos est un des passe-temps favoris des esprits complotistes – ceux qui voient d’odieuses conspirations derrière chaque événement marquant, comme lors de l’attentat contre John Fitzgerald Kennedy, ou le 11 septembre 2001. On l’a encore vu pendant le drame de Charlie Hebdo.

La première rumeur alarmiste qui a circulé le 7 janvier, après l’attentat contre Charlie, est partie d’une différence, sur deux clichés parus dans la presse, de la couleur des rétroviseurs de la Citroën C3 utilisée par les frères Kouachi. L’un, gris clair, pris avant l’attaque. L’autre, plus sombre, après. Ces écarts chromatiques prouveraient qu’il ne s’agit pas de la même voiture. Alors que le métal chromé produit, selon l’angle de prise de vue, des reflets plus ou moins sombres – ce qui explique la dissemblance des photos –, certains y ont vu la preuve d’une terrible manipulation politique  : les Kouachi n’auraient pas attaqué le journal, mais servi de gibier à la police dans « la seconde C3 », celle aux rétroviseurs sombres. Pendant ce temps, de mystérieux occupants de « la première C3 » décimaient l’équipe du journal. Pour certains complotistes, jeunes tweetos énervés ou émules de Dieudonné, c’était des hommes des services secrets israéliens décidés à discréditer les musulmans. Pour d’autres, des agents français voulant créer une situation de guerre civile en France.

L’astronaute « Buzz » Aldrin sur la Lune, le 21 juillet 1969. Des détails sur cette image ont fait naître l’idée que les Américains avaient tourné une vidéo dans le désert du Nevada. NASA

Quand, le 21 juillet 1969, Neil Armstrong foule le sol lunaire, certains prétendront qu’il s’agissait d’une vidéo tournée dans une base secrète du désert du Nevada. Des détails isolés sur les photos de l’événement le révéleraient : le drapeau flotte, les empreintes sont sur du sable humide, les reflets des casques viennent des projecteurs. « Peu de gens ont marché sur la Lune, et pourtant certains semblaient tout savoir de l’atmosphère et du sol lunaires, ironise Jean-Bruno Renard. Tout a été expliqué, le mouvement cinétique donné au drapeau, les marques de pas dans la poussière, mais cela n’a pas désarmé les sceptiques. »

« Prouver des projets diaboliques »

Les attentats du 11 septembre 2001 ont aussi suscité une série d’interprétations invraisemblables. Un missile américain aurait percuté l’immeuble du Pentagone à Washington, et non pas un avion de ligne. Photos du crash à l’appui, et récusant toutes les expertises, souvent sans même se rendre sur place, sans mener une contre-enquête sérieuse, les adeptes d’un complot ont multiplié les démonstrations : le cratère d’impact trop petit, l’absence de débris d’aile, etc. Selon Thierry Meyssan, auteur de L’Effroyable Imposture (Carnot, 2002, un gros succès d’édition), un clan militaro-industriel d’extrême droite aurait fomenté l’opération.

Selon les adeptes du complot, c’est un missile américain qui aurait percuté l’immeuble du Pentagone, le 11 septembre 2001. DR

«  L’interprétation méthodique, souvent obsessionnelle, des images puis des photos pour prouver des projets diaboliques a toujours existé », rappelle Jean-Bruno Renard. Certains ont, rappelle-t-il, décelé les signes d’une conjuration raciste sur le paquet de Marlboro : ils y voient trois « K », la cagoule du Ku Klux Klan et l’expression « orobl jew » (horrible juif) en retournant le nom. D’autres détectent partout les signes du Diable, le pentacle, les lettres « 666 », mieux que des inquisiteurs du Moyen Age : voyez les six barres et les six étoiles de la pièce de 1 euro, et le visage de Lucifer apparu dans la fumée du World Trade Center, le 11 septembre – la photo a fait le tour de la Toile.

Une parodie de démonstration scientifique

Les théories de la conspiration connaissent une diffusion nouvelle avec Internet et l’intense circulation des photos d’actualité. C’est la grande conjuration des conjurés relayés par les tweets, les blogs et les chats. « Nous voyons à chaque actualité forte se constituer un mille-feuille argumentatif, appuyé sur des photos décryptées et parfois des photomontages fantaisistes », explique le sociologue Gérald Bronner, auteur de La Démocratie des crédules (PUF, 2013). Cette accumulation d’analyses orientées, parfois délirantes, quelquefois inquiétantes ou xénophobes, mimant les méta-analyses des sites scientifiques, fait dire aux internautes : « Tout ne peut pas être faux », version digitale du vieil adage « il n’y pas de fumée sans feu » (ni fumier frais).  Souvent, ces enquêteurs, qui se présentent comme de « contre-informateurs », parlent d’intelligence plurielle alors qu’ils se contentent bien souvent de recueillir des interprétations rapides et oiseuses, voire des ragots, sans développer une véritable recherche critique ni porter la contradiction sur les « preuves » avancées – Wikipédia par exemple, l’encyclopédie contributive, exige des sources recoupées, des analyses diversifiées et un principe de neutralité.

Dans les années 1960, beaucoup ont vu les trois K du Ku Klux Klan volontairement apposés sur le paquet de Marlboro. DR

«   Nous assistons à des phénomènes de recherche collective des conspirations à travers les photos, qui finissent forcément par trouver un détail “bizarre”, poursuit Bronner. Pendant les mobilisations pour Charlie Hebdo, le parcours de la marche du 11 janvier aurait ainsi pris la forme de la carte d’Israël  !  » Cela prouverait que le gouvernement israélien soutient et finance Charlie Hebdo – et les blasphémateurs. Pour beaucoup de ces «chercheurs » du Net, il s’agit de montrer qu’« on ne se fait pas avoir » par les médias et les politiciens. « Ils s’imaginent plus intelligents que tout le monde, continue Bronner. Ils doutent de tout, réfutent tout, sans voir que le véritable esprit critique commence par douter de ses interprétations et ses premières réactions. » Pour le sociologue, ce « nihilisme cognitif », qui rejette a priori les analyses policières et gouvernementales, les enquêtes journalistiques, jusqu’aux expertises indépendantes est souvent « un marchepied » vers le négationnisme historique et l’extrémisme.

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