Les droits de l’homme, nouvelle cible de Marine Le Pen

Au moins, c’est clair : le FN peut s’asseoir sur la Convention européenne des droits de l’homme, personne ne semble s’en offusquer…

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La présidente du Front national, Marine Le Pen, était l’invitée du « Grand rendez-vous » sur iTélé, Europe 1 et « Le Monde » ce dimanche 29 juin 2014. Malgré son échec à constituer un groupe au Parlement Européen (le « rassemblement bleu marine » n’est que franco-français), la fille de Jean-Marie Le Pen était particulièrement arrogante et agressive envers ses interlocuteurs journalistes.

La semaine qui vient de passer a été assez riche en événements judiciaires et en particulier, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a pris deux décisions importantes.

Le mardi 24 juin 2014, elle a ordonné à la France de maintenir provisoirement en vie Vincent Lambert après la décision (que je considère scandaleuse) du Conseil d’État prise quelques heures auparavant, à la suite du recours d’une partie de la famille qui devrait être traité d’ici six mois. L’autre décision a été annoncée le jeudi 26 juin 2014 ; la CEDH a condamné la France pour avoir refusé de reconnaître les enfants de Français nés à l’étranger de mère porteuse tout en lui reconnaissant le droit d’interdire sur son territoire la GPA (gestation pour le compte d’autrui). La CEDH a estimé qu’un enfant avait le droit d’avoir des parents reconnus.

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Or, ces deux décisions vont à l’encontre des convictions de Marine Le Pen. Pour la première, Marine Le Pen avait applaudi la décision du Conseil d’État de ne pas maintenir en vie Vincent Lambert (en d’autres termes, de le tuer, il faut le dire clairement), ce qui donnerait un avant-goût de la société eugénique qu’elle serait susceptible de vouloir en cas d’arrivée au pouvoir, où seraient exclus tous les « tarés » de son idéologie (étrangers, personnes affaiblies, malades ou handicapées, etc.).

Pour la seconde, Marine Le Pen a cru voir dans la décision de la CEDH un encouragement à la GPA voire une autorisation en France, ce qui n’est pas du tout le cas même si l’on peut parler d’une forme d’hypocrisie qui bénéficierait aux plus riches. Ce sujet est très complexe car l’enfant qui naît d’un tel dispositif, même si c’est illégal, est vivant et a certains droits qu’il ne faut pas lui retirer, il est innocent, n’y peut rien des décisions de ses « parents », et a le droit d’avoir toutes les protections que la République et les valeurs universelles garantissent.

Au lieu de contester ces décisions sur le fond, Marine Le Pen a montré son vrai visage en s’asseyant carrément sur les droits de l’homme. Trop lancée sur son nationalisme vidé de contenu, elle a remis en cause le principe même de la Cour européenne des droits de l’homme, considérant qu’une instance supranationale n’avait pas le droit d’avoir le dernier mot : « Le CEDH ne devrait pas avoir une autorité juridique supérieure à celle des institutions françaises. ».

Or, cette phrase, qui convient à son nationalisme franchouillard et à son antieuropéanisme viscéral qu’elle n’applique pourtant pas à son portefeuille (on se demande vraiment pourquoi depuis dix ans, elle est élue dans une instance dont elle ne freconnaît pas la légitimité, et son père, aux mêmes idées europhobes, trente ans !), va à l’encontre de tous les principes de droit international.

C’est étrange pour une femme qui a été, un moment, avocate, d’être aussi légère (il n’y a pas d’autre mot) en matière juridique qu’en matière économique, si ce n’est pour surfer sur une démagogie scandaleusement malsaine prête à remettre en cause nos libertés fondamentales (car c’est de cela qu’il s’agit).

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L’ancienne avocate devrait donc savoir que le recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que, depuis 2010, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sont deux outils supplémentaires en faveur des droits des citoyens français. Que grâce à ces outils, un justiciable français qui peut se retrouver injustement traité par la justice française (pour une raison ou une autre) a deux nouvelles possibilités pour faire valoir ses droits (cela n’empêcherait pas sa condamnation s’il était finalement reconnu qu’il avait tort).

Marine Le Pen l’a même dit très clairement : la France est suffisamment le pays des droits de l’homme pour se permettre de ne pas avoir à se faire dicter ses décisions par la Cour européenne des droits de l’homme ! Cette idée est d’autant plus farfelue qu’au contraire, si les décisions diffèrent de la justice française, c’est qu’il y a un problème par rapport à la conception des droits de l’homme d’un côté et de l’autre.

À ce compte-là, Marine Le Pen quitterait également l’ONU, puisque les décisions du Conseil de sécurité s’appliquent aux États concernés, et puis, elle remettrait en cause TOUS les traités internationaux que la France a signés depuis des millénaires, je dis bien tous, puisque n’importe quel étudiant en droit sait que les traités internationaux, à partir du moment où ils sont légalement ratifiés (selon les procédures constitutionnelles) ont une valeur supérieure à la loi (cela n’empêche pas de rompre unilatéralement des traités comme on rompt un contrat, l’histoire des derniers siècles en a montré quelques exemples comme le Pacte germano-soviétique).

L’article 55 de la Constitution française est très clair sur ce principe : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. ».

Rappelons ce qu’est la Cour européenne des droits de l’homme dont le siège, cela aurait dû chatouiller le nationalisme-cocorico de madame Le Pen, est, depuis le 1er novembre 1998, à Strasbourg, au Palais des Droits de l’homme, avenue de l’Europe (droits de l’homme, Europe, je conçois que cela puisse donner de l’urticaire à la leader du FN). Comme elle l’a remarqué, la CEDH est effectivement une instance juridictionnelle supranationale (encore un vilain mot) qui a été créée en 1949 (ce n’est donc pas nouveau et jusque là, je n’ai jamais entendu madame Le Pen s’en inquiéter).

Sa mission est assez claire puisqu’il s’agit de faire appliquer la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce n’est donc pas rien, c’est un élément majeur pour garantir, au-delà des gouvernements nationaux, un minimum de droits et de liberté des citoyens. Elle se réfère notamment, exactement comme notre Constitution (donc, juridiquement, il n’y a aucune différence), à la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 (dont René Cassin fut l’un des rédacteurs). C’est cela que Marine Le Pen veut supprimer !

Le Traité de Lisbonne, tout comme la Constitution française, se réfère aussi à ces principes : « L’Union [Européenne] adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. (…) [Ces] droits fondamentaux (…) font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. ».

Quarante-sept pays (européens) ont ratifié cette Convention, y compris la Russie, la Turquie et la Moldavie, pour ne prendre que quelques exemples. Comme l’impose son article 35, la CEDH ne peut être saisie que lorsque les voies de recours nationales sont épuisées, c’est le principe de subsidiarité appliqué à une juridiction supranationale qui, ici, n’est qu’une instance de contrôle de la Convention. C’est donc normal que ses décisions s’imposent aux États puisqu’elles sont censées garantir que la Convention, que ces États ont par ailleurs ratifiée, est correctement appliquée en leur sein. C’est donc bien une garantie supplémentaire donnée aux peuples.

La France a présidé la CEDH à deux reprises, du 20 mai 1965 au 15 juin 1968 avec René Cassin (1887-1976), Prix Nobel de la Paix en 1968 (c’est lui qui proclama le 8 janvier 1959 le Général De Gaulle élu Président de la République française), et du 19 janvier 2007 au 3 novembre 2011 (atteint par la limite d’âge) avec le juriste Jean-Paul Costa (72 ans).

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René Cassin, qui repose au Panthéon depuis le 5 octobre 1987 sur décision du Président François Mitterrand, était loin d’être un « antipatriote » (l’obsession de Marine Le Pen), puisqu’il a quitté la France pour rejoindre De Gaulle dès le 24 juin 1940, ce qui lui a valu la déchéance de sa nationalité française et une condamnation à mort par contumace par le régime de Vichy. Il a rédigé les statuts de la France libre signés le 7 août 1940 par De Gaulle et Churchill, fut membre du Gouvernement provisoire, puis président de l’ENA après la guerre. Il expliquait ainsi son (vrai) patriotisme : « Je tiens de ma patrie un cœur qui la déborde et plus je suis français, plus je me sens humain. ».

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La France a ratifié cette Convention en 1974 et a donné la possibilité à ses résidents de saisir la CEDH à partir de 1981. L’article 53-1 de la Constitution française reconnaît d’ailleurs explicitement cette Convention : « La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d’asile et de protections des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l’examen des demandes d’asile qui leur sont présentées. ».

En 2011, la France a été condamnée par la CEDH vingt-trois fois, tandis que la Turquie cent cinquante-neuf fois, la Russie cent vingt et une fois, l’Ukraine cent cinq fois et la Grèce soixante-neuf fois.

On peut comprendre pourquoi une telle Convention est l’une des cibles privilégiées du FN : le protocole 6 du 28 avril 1983 et le protocole 13 du 3 mai 2002 de cette Convention interdisent la peine de mort en temps de paix comme en temps de guerre. Cela voudrait dire que ceux qui veulent le rétablissement de la peine de mort devraient non seulement réviser la Constitution, puisque l’abolition de la peine de mort a été constitutionnalisée le 23 février 2007 (loi constitutionnelle n°2007-239) : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. » (article 66-1 de la Constitution), mais aussi quitter les quarante-six autres pays européens qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme.

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Ce qui surprend, ce n’est pas ce nationalisme étriqué, comme je l’ai écrit, ce faux patriotisme qui veut retirer des garanties aux citoyens français, que la maison Le Pen père et fille ont toujours secrété depuis quarante et un ans au FN. Ce qui est étonnant, c’est que personne ne semble s’indigner que cette idéologie, qui n’a jamais évolué depuis tant d’années, mette son chauvinisme anachronique devant ces valeurs universelles.

Au contraire, être patriote français, c’est adhérer pleinement à ces valeurs des droits de l’homme et des libertés fondamentales et soutenir tous les dispositifs qui, en cas de faille des États (comme dans les années 1930), puissent durablement maintenir ces garanties aux peuples.

Remettre en cause ces acquis juridiques, ces protections supranationales des citoyens, c’est sans doute l’une des nécessités quand l’on veut faire plonger un pays dans l’autoritarisme arbitraire et le populisme démagogique. La sincérité démocratique de Marine Le Pen en a donc pris un coup, ce 29 juin 2014. Aux électeurs de bien juger aux prochaines échéances, puisque le naturel revient au galop…

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