Les paradoxes de la Commission Juncker

De même, Juncker a confié la relance à l’ancien premier ministre finlandais, Jyrki Katainen, pourtant lui aussi adepte de la rigueur, les services financiers à l’eurosceptique britannique Jonathan Hill ou encore l’énergie et le changement climatique au conservateur espagnol Miguel Arias Canete qui, selon El Païs, a des intérêts dans l’industrie pétrolière…  « Il va falloir que certains forcent leur nature », s’amuse un haut fonctionnaire européen. Du moins, si ce collège sort intact des auditions devant le Parlement européen, ce qui est douteux : « je vois mal les députés accepter l’ancienne première ministre libérale slovène, Alenka Bratusek, une eurosceptique militante, vice-présidente chargée de l’union énergétique ou encore l’eurosceptique Jonathan Hill », s’indigne Françoise Grossetête (UMP, groupe du PPE). D’autres pensent que Moscovici se prépare des nuits blanches  tout comme l’Espagnol Canete que le Vert Yannick Jadot voit en « victime sacrificielle offerte au Parlement »… Les auditions promettent en tous les cas d’être animées.

C’est toute la difficulté de l’exercice qu’a mené durant l’été Jean-Claude Juncker : ce n’est pas lui qui a choisi les personnalités de son collège, mais les gouvernements. En clair, il doit faire avec ce qu’il a en tenant compte de l’équilibre géographique, politique ainsi que des revendications de chacun. Il a même du batailler ferme pour que les États envoient à Bruxelles au moins autant de femmes que dans la Commission dirigée par le sortant, José Manuel Durao Barroso. Elles seront au final 9 sur 28, une proportion équivalente à celle de la législature 2009-2014 (mais il y a davantage de vice-présidentes). Comme l’ancien premier ministre luxembourgeois s’y était engagé, il leur a donné des postes importants : outre la ministre des Affaires étrangères de l’Union, Federica Mogherini, automatiquement vice-présidente, il a aussi nommé deux vice-présidentes, la Slovène Alenka  Bratusek et la Bulgare Kristalina Georgieva (budget et ressources humaines), soit trois sur sept. Et, pour la première fois, ce sont des femmes qui héritent des très importants portefeuilles du commerce (Cecilia Malmström, Suède, libérale), du marché intérieur (Elzbieta Bienkowska, Pologne, conservatrice), de la politique régionale (Corina Cretu, Roumanie, socialiste), postes auxquels il faut ajouter la concurrence (Margrethe Vestager, Danemark, libérale, même si Neelie Kroes l’a précédé dans cette fonction). Ce faisant, Juncker a voulu rassurer le Parlement européen qui a fait de l’égalité des genres un principe cardinal : la qualité est censée pallier la faible quantité.

Premier président à avoir été élu directement par le Parlement européen et non plus seulement par les États, Juncker a osé innover en restructurant en profondeur la Commission au risque de déplaire à ces derniers. Ainsi, les sept vice-présidents ne sont plus chargés d’un portefeuille particulier (commerce, énergie, etc.), comme dans les Commissions précédentes, mais d’un secteur entier : ils devront animer une équipe de commissaires et ce sont eux qui donneront ou non le feu vert à leurs propositions. L’idée de Juncker est de rétablir la collégialité et de refaire du collège un lieu politique. Barroso, lui, n’a eu de cesse d’éviter toute discussion collective, ce qui a permis à l’administration européenne de prendre le pouvoir. Le résultat a été une gestion des affaires européennes déshumanisée, les commissaires étant devenus les otages de leurs directions générales. Reste à voir si ce nouvel organigramme fonctionnera, car les vice-présidents n’auront pas d’autorité directe sur les services administratifs.

Cette légitimité renforcée a aussi permis à Jean-Claude Juncker de résister aux diktats de Berlin : alors qu’elle a fait connaitre ses réticences à la nomination de Pierre Moscovici aux affaires économiques et monétaires, vu ses mauvais résultats à Bercy, elle n’a pas obtenu satisfaction. Lot de consolation : le Français sera surveillé par un dur, le Letton Dombrowskis. De même, l’Allemagne espérait obtenir le commerce, le traité de libre-échange avec les États-Unis l’inquiétant particulièrement : elle devra se contenter du poste de l’économie numérique confié à Günther Oettinger.

Cette nouvelle Commission marque la montée en puissance des pays d’Europe du Nord et de l’Est. Ainsi, sur sept vice-présidents, il n’y a qu’un ressortissant du sud, l’Italienne Mogherini. Les autres sont Néerlandais (Frans Timmermans, premier vice-président chargé de veiller à ce que l’Union n’intervienne que sur l’essentiel), Bulgare, Slovène, Finlandais, Letton et Estonien. De même, ces pays héritent de portefeuilles importants : outre ceux déjà cités, on peut ajouter la justice attribuée à la Tchèque Véra Jourova ou encore la politique régionale (second budget de l’Union) à la Roumaine Corina Cretu…

Comme on pouvait s’y attendre, ce collège reste clairement marqué à droite, à l’image du Parlement européen issu des élections du 25 mai : on compte 14 conservateurs du PPE, 5 libéraux, 1 conservateur britannique et seulement 8 sociaux-démocrates, soit à peine plus que dans la Commission Barroso. Un déséquilibre plus marqué qu’au Conseil européen des chefs d’État et de  gouvernement où l’on dénombre 12 socialistes. Ce déséquilibre s’explique par les coalitions au pouvoir dans beaucoup d’États membres, les équilibres politiques internes ayant conduit à la désignation de commissaires de droite. Cela étant, la Commission étant soutenue par une grande coalition conservateurs-libéraux-socialistes au Parlement européen, elle sera plus attentive à la croissance, à l’emploi, à l’équité sociale que la précédente. C’est du moins la promesse de Jean-Claude Juncker qui se définit comme chrétien-social en insistant lourdement sur le mot social…

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