Liban : La terre et le feu de Nathalie Khayat

Rarement considérée comme l’un des beaux-arts, la céramique se trouve injustement reléguée au rang subalterne d’artisanat d’art – tout comme la tapisserie. Oubliant que des créateurs de premier plan, notamment Picasso ou Miro, utilisèrent ce medium au même titre que la peinture et la sculpture, confirmant ainsi ses lettres de noblesse, public et critique peinent encore à s’y intéresser vraiment.Il est vrai que les céramiques jouent majoritairement un rôle décoratif, voire utilitaire ; pour autant, lorsque l’artiste décide de ne leur donner aucune utilité, lorsque ses créations échappent à un beau niais ou aguicheur, émergent des œuvres d’art à part entière devant lesquelles il serait dommage de ne pas s’arrêter.

Le galeriste libanais Saleh Barakat, dont le flair n’est plus à démontrer dans la découverte d’artistes talentueux, ne s’y est pas trompé en consacrant en juin dernier, dans sa galerie beyrouthine (Agial) une exposition à la céramiste Nathalie Khayat sous le titre « The Eye above the Well ».

Cette artiste, qui étudia sa discipline à Montréal, l’enseigne aujourd’hui au Liban mais, contrairement à maints professeurs qui limitent leur approche à l’académisme, Nathalie Khayat façonne furieusement la terre, y convoque le feu pour en faire ressortir de singulières formes novatrices. Vus de loin, ses pots et ses jarres semblent apprivoiser le regard tant leur profil paraît familier. Il suffit cependant au spectateur de s’approcher pour découvrir la métamorphose progressive des œuvres.

Les lignes attendues se brouillent, se troublent, s’estompent et se cassent. L’illusion du lisse cède la place au chaos des cratères, des fissures. La surface devient un champ de bataille, les traits se déforment, trahissant une tension puissante, des violences non contenues. Cette terre travaillée témoigne pour le territoire dont elle est issue, cet Etat, jadis prospère, devenu depuis la fin du XXe siècle l’enjeu de combats géopolitiques régionaux qui le dépassent.

Si l’on s’approche encore davantage, jusqu’à presque toucher la matière, la terre devient peau et les volumes visages, ceux des victimes innocentes (et peut-être, ce qui est encore plus tragique, de celles qui, du sniper au poseur de bombes, ne le sont pas). Sous la rugosité, des cicatrices, des stigmates se font jour. Les jarres prennent des allures de « gueules cassées », ces poilus de la Grande guerre au visages mutilés dans la boucherie des tranchées. Les cinéphiles qui ont vu J’Accuse d’Abel Gance dans la version de 1938 et se souviennent de la scène où Jean Diaz (joué par Victor Francen) appelle les morts de Douaumont à sortir de leur tombe pour éviter un nouveau conflit comprendront exactement ce dont il s’agit.

Blancs, anthracites ou dichromes, les sculptures aux gueules béantes et difformes de Nathalie Khayat semblent hurler à la paix contre ceux qui hurlent à la mort. Le message est d’autant plus saisissant qu’à tout moment, la barbarie du terrorisme s’exprime dans ce pays comme chez ses voisins.

Illustrations : photos © Galerie Agial.

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