L’Irlande : un exemple d’émigration massive

« Elle savait seulement que ce royaume, de tout temps, lui avait été promis et que jamais, pourtant, il ne serait le sien, plus jamais, sinon à ce fugitif instant, peut-être, où elle rouvrit les yeux sur le ciel soudain immobile, et sur ses flots de lumière figée, pendant que les voix qui montaient de la ville arabe se taisaient brusquement. Il lui sembla que le cours du monde venait alors de s’arrêter et que personne, à partir de cet instant, ne vieillirait plus ni ne mourrait. En tous lieux, désormais, la vie était suspendue, sauf dans son cœur où, au même moment, quelqu’un pleurait de peine et d’émerveillement. » (« L’Exil et le Royaume », Albert Camus, 1957).

La crise des réfugiés en Europe apporte au moins une clarification dans la position de la classe politique. Il y a certaines surprises désagréables et d’autres plus rassurantes. Il y a une urgence, protéger la vie de ceux qui l’ont risquée pour fuir la guerre et la barbarie, et il y a parallèlement une nécessité à plus long terme pour arrêter cet exode, à savoir rétablir la stabilité en Syrie et en Irak, et cela passe forcément par une intervention militaire au sol contre Daech sous l’égide de l’ONU avec l’accord non seulement de l’OTAN mais aussi de la Russie, de la Turquie, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite. C’est bien ce qui s’est entrevu lors des deux débats à l’Assemblée Nationale, l’un sur une intervention en Syrie le 15 septembre 2015, l’autre sur les réfugiés le 16 septembre 2015.

Humanité pour l’accueil en Europe (on a suffisamment déploré la répression contre les chrétiens d’Orient pour maintenant ne pas agir concrètement en les aidant, eux et les non chrétiens tout autant opprimés), mais fermeté contre Daech. On a parfois l’impression qu’il y a échange de valeurs dans certaines réflexions.

La réalité historique est que les grands mouvements migratoires ont toujours favorisé le dynamisme économique. Le dernier en France a eu lieu après la guerre d’Algérie avec l’arrivée des pieds noirs et des harkis, généralement mal accueillis en France (il suffit d’écouter ce qu’en disaient des personnalités comme Gaston Defferre ou Louis Joxe en juillet 1962) mais qui ont contribué au dynamisme économique des années 1960.

L’ancien Ministre des Finances Alain Madelin est l’une des rares personnalités politiques à comprendre ce qu’est l’économie et surtout, à être intellectuellement cohérent. Même s’il a quitté la politique pour un fonds d’investissement et les médias (il intervient régulièrement sur BFM Business), il est capable de dire des vérités que ses anciens amis politiques refusent pourtant d’admettre : l’immigration a toujours été une chance pour le pays d’accueil.

Et le 15 septembre 2015, il citait notamment l’émigration irlandaise massive au milieu du XIXe siècle en rappelant qu’il y a eu les mêmes désastres humains que dans la Méditerranée aujourd’hui puisqu’un bateau sur cinq a fait naufrage lors de la traversée de l’Atlantique.

Causes de l’exode irlandais

Appesantissons-nous justement sur l’émigration irlandaise. Elle a commencé dès le XVIe siècle en raison des persécutions religieuses (vers la France, l’Italie et l’Espagne, des pays catholiques) puis à partir du XVIIIe siècle lors de la révolution industrielle (entre 1815 et 1845, 500 000 Irlandais ont émigré vers l’Angleterre). Mais au milieu du XIXe siècle, les Irlandais ont massivement émigré vers le Canada et les États-Unis. Avec la navigation à vapeur, trois semaines suffisaient pour traverser l’Atlantique au lieu de douze sur un voilier.

La première cause fut la grande famine entre 1845 et 1852 qui a considérablement appauvri et affamé la population irlandaise, une famine due au mildiou (champignon) qui a ravagé les cultures de pommes de terre et due aussi à l’indifférence des Britanniques. Les récoltes dévastées pendant plusieurs années de suite ont été la cause d’une grande malnutrition et aussi d’une épidémie de choléra. Par la volonté des grands exploitants anglais qui voulaient continuer leur business, l’Irlande a quand même continué à exporter vers l’Angleterre alors que sa production avait chuté de 40% !

Un bilan très lourd

Le bilan fut très lourd sur la population irlandaise, sur 8 millions d’habitants en 1840, près de 1,5 million sont mortes de faim ou de maladie et 2 millions s’expatrièrent en quelques années. La population a donc diminué énormément (d’un tiers !). Entre 1841 et 1920, plus de 5 millions d’Irlandais ont émigré. L’Irlande en 1911 s’est retrouvée avec sa population de 1800 (4,5 millions de personnes).

Tout était bon pour quitter l’Irlande et tout le monde voulait embarquer dans des navires qui traversaient l’Atlantique. Le rêve américain a ainsi touché près des trois quarts des candidats irlandais à l’émigration (aujourd’hui, ce serait le rêve allemand, et sûrement pas le rêve français, que François Hollande avait pourtant promis de « réenchanter »). Entre 1840 et 1860, les trois quarts des 4 millions d’Européens venus aux États-Unis étaient soient des Irlandais soit des Allemands (fuyant l’Allemagne après le réveil des idées nationales en 1848). Aux États-Unis, le nombre d’habitants nés à l’étranger a presque doublé entre 1850 à 1860, passant de 2,2 à 4 millions de personnes. Entre 1820 et 1967, il y a eu 43 millions de personnes qui sont venues vivre aux États-Unis dont 9,4 millions d’Irlandais ! Au début du XXe siècle, la moyenne était de l’ordre de 1 million de personnes émigrant aux États-Unis par an.

Une traversée maritime très dangereuse

Ce fut dramatique pour les personnes qui ont choisi l’émigration car la très longue traversée de l’océan fut épouvantable. Beaucoup moururent avant d’atteindre la côte américaine, soit noyés dans un naufrage, soit par des épidémies car les conditions d’hygiène n’avaient pas été respectées. Les passagers étaient traités comme des chiens par les marins, les femmes et les filles risquaient d’être violées en permanence, etc. La distribution de nourriture était régulièrement accompagnée de violences et de bagarres.

À l’époque de la grande famine, on a évalué à 9% le nombre de morts dans les navires (si l’on doit tenir une comparaison macabre, les réfugiés qui ont traversé la Méditerranée depuis le début 2015 avaient environ 1% de risque de mourir noyés ou asphyxiés par la suite, souvent grâce à l’Union Européenne qui a sauvé du naufrage des centaines de milliers de migrants). À la fin du XIXe siècle, la loi avait imposé aux compagnies maritimes certaines normes de sécurité et de hygiène et afin de les encourager à les respecter, une amende avait été instituée à raison de 10 dollars par mort pendant la traversée…

Un début difficile

La plupart des migrants irlandais se sont installés dans les grandes villes à l’est des États-Unis, principalement à New York (en particulier Ellis Island, île près de Manhattan à partir de 1892) et à Boston, mais aussi à Chicago, à La Nouvelle Orléans et pour les plus riches à San Francisco. Certains ont émigré aussi au Canada, mais souvent pour pouvoir entrer ensuite aux États-Unis. Les migrants irlandais représentaient alors un tiers de l’immigration aux États-Unis.

Aux États-Unis, les conditions de vie des arrivants irlandais furent au départ difficiles, ils se sont retrouvés à se loger dans des habitations insalubres (suintant la saleté et les immondices, comme le décrivait Charles Dickens) et à travailler dans les tâches pénibles de construction avec une rémunération très faible. Leur intégration n’était pas forcément facile à cause de la langue (gaëlique) et de la religion (catholique).

Malgré la xénophobie de certains habitants d’origine (qui les traitaient de tous les maux et préjugés, paresseux, ivrognes, etc., et les représentaient même en singes), les émigrés irlandais sont parvenus à s’investir dans les institutions économiques, sociales et politiques à la fin du XIXe siècle et même à faire fortune (moins de 20% des émigrants irlandais occupaient un emploi sans qualification au début du XXe siècle).

L’intégration malgré la religion

Le courant anticatholique aux États-Unis s’est confondu avec le courant contre les migrants irlandais pendant la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, au point de craindre que les Irlandais préférassent obéir à leur pape qu’à leur pays d’accueil (il était alors dit que leur Église était « une, sainte, catholique, apostolique et irlandaise » !). Dans les faits, les « Irlandais » ont su prendre des positions importantes au sein du Parti démocrate. Le premier candidat catholique à l’élection présidentielle fut Al Smith en 1928 (contre Herbert Hoover) et le courant anticatholique (ou anti-irlandais) s’est arrêté avec l’élection du Président John F. Kennedy le 8 novembre 1960.

D’origine irlandaise et beaucoup critiqué pour sa religion, John Kennedy avait commencé sa campagne présidentielle devant une assemblée de pasteurs protestants en affirmant ceci : « Je crois en une Amérique où la séparation de l’Église et de l’État est absolue, une Amérique où aucun prélat catholique ne saurait dicter au Président (fût-il catholique) comment agir, et où aucun pasteur protestant ne saurait dire à ses paroissiens pour qui voter. (…) Une Amérique où aucune organisation religieuse ne saurait imposer, directement ou indirectement, les vues de ses représentants au public ou à la population en général : une Amérique où la liberté religieuse est une et indivisible, de sorte qu’une attaque contre une Église soit perçue comme une attaque contre toutes les Églises. (…) Je ne suis pas le candidat catholique à la Présidence. Je suis le candidat du Parti démocrate à la Présidence, qui s’avère également être catholique. Je ne parle pas au nom de mon Église sur les questions d’intérêt public, et l’Église ne s’exprime pas en mon nom. » (Houston, le 12 septembre 1960).

Contribution à la richesse de l’Amérique

Aujourd’hui, il y a environ 33 millions d’Américains qui se déclarent d’origine irlandaise, c’est-à-dire 11% de la population. Ils sont parmi les plus prospères des États-Unis, avec un niveau d’étude, une profession et des rémunérations très au-dessus de la moyenne. Leur enrichissement a favorisé leur départ des quartiers irlandais des grandes villes et les mariages avec des non-Irlandais puis avec des non-catholiques furent de plus en plus courant jusqu’à se mélanger complètement avec le reste de la population des États-Unis.

(JFK avec sa famille irlandaise en 1963)

Les immigrés irlandais ont ainsi montré qu’ils pouvaient devenir de « bons Américains » sans pour autant renoncer à leur héritage culturel et religieux. L’assimilation n’était donc pas un processus dans un seul sens et les États-Unis se sont aussi transformés par leur apport. Les descendants des migrants irlandais ont largement contribué à la réputation et à la prospérité des États-Unis, ce fut le cas notamment de deux Présidents, John Kennedy et Ronald Reagan, de l’astronaute Neil Armstrong (le premier homme sur la Lune), de l’industriel Henry Ford, aussi du chanteur Jim Morrison, des acteurs Grace Kelly, John Wayne, Robert De Niro, George Clooney, Clint Eastwood, Kevin Costner, Harrisson Ford, Johnny Depp, etc.

Urgence humanitaire et vision historique

Dans l’histoire du monde, les Européens ont été parmi les peuples qui ont le plus émigré pour différentes raisons et en particulier les difficultés économiques, la guerre et l’oppression. Il faudrait avoir la mémoire vraiment courte pour que ceux-ci restent indifférents à la détresse que leurs propres parents ou aïeuls avaient eux-mêmes connue très fréquemment au cours de leur histoire très mouvementée. Surtout au point d’en arriver à des affrontements comme ce 16 septembre 2015 à la frontière entre la Serbie et la Hongrie.

L’accueil des réfugiés a toujours présenté un défi pour les pays d’accueil, un défi économique mais aussi politique, mais la réalité historique, c’est que cela a toujours abouti à un enrichissement du pays. L’oublier, c’est ne pas connaître l’histoire.

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