Marine Le Pen se dévoile

Miser sur le Robespierre du Nil pour lutter contre le jihadisme, c’est montrer que gouverner ne se concevrait, pour elle, qu’avec une méthode brutale qui pourrait rappeler aux Français un passé pas si lointain : « Au fond de chaque homme civilisé se tapit un petit homme de l’âge de pierre, prêt au vol et au viol, et qui réclame à grands cris un œil pour œil. Mais il vaudrait mieux que ce ne fût pas ce petit personnage habillé de peaux de bêtes qui inspirât la loi de notre pays. » (Albert Camus, 1955).

Les bisounours qui croient aux jolis contes de fée à base de Jeanne d’Arc délivrant les Français des méchants envahisseurs feraient mieux de bien vérifier que les rêves ne deviennent cauchemars lorsqu’ils auront à faire leur choix dans l’isoloir. Il faut en effet savoir décrypter les comportements au-delà des inévitables langues de bois et propos d’après-banquet à visée démagogique et électoraliste.

Un exemple, Marine Le Pen, qui prétend à la fois être la plus patriote de toute la classe politique et ne pas être d’extrême droite. Elle a un atout, l’éviction de Le Pen père. Jean-Marie Le Pen n’est pas du genre à se laisser faire ou plutôt, à se laisser défaire, et le 2 juin 2015, il a donc porté devant la justice le différent qui l’oppose à sa fille (sur la légitimité statutaire de son exclusion du FN). Je rassure les esprits chagrin qui supportent mal les familles éclatées : si le conflit est bien réel (ce n’est pas un jeu de rôle), il porte sur les personnes, la susceptibilité de l’un et la crédibilité de l’autre, mais certainement pas sur les convictions politiques et sur les valeurs.

Comme souvent, le naturel revient au galop et il est très difficile de construire une image de femme raisonnable quand les idées le sont beaucoup moins. C’est parfois par les voyages à l’étranger (qui forment la jeunesse nous dit-on) que l’on a pu s’en apercevoir.

Elle s’était rendue à la grande soirée de gala organisée par le magazine américain « Time »le 21 avril 2015 à New York. Elle en était très honorée, puisqu’elle a été placée parmi les cent personnalités qui compteraient le plus au monde. Difficile, après ce voyage, de continuer à se dire anti-système, antiaméricaine, et contre une Europe atlantiste puisqu’elle est venue chercher ses récompenses et sa reconnaissance auprès même de l’oncle Sam ! C’est assez cocasse. Elle en aurait d’ailleurs profité pour avoir un entretien privé avec Ehud Barak, l’ancien Premier Ministre israélien (de 1999 à 2001) et ancien Ministre de la Défense de Benyamin Netanyahou (jusqu’en 2013), qui semble beaucoup l’apprécier.

Ce besoin de reconnaissance n’est pas nouveau : Jean-Marie Le Pen s’était lui-même fait « adouber » par le Président des États-Unis Ronald Reagan.

Elle s’est aussi rendue à Moscou le 26 mai 2015. Là, les choses sont très différentes. En fin 2014, elle avait obtenu d’une banque russe complètement sous contrôle de Vladimir Poutine un prêt de 9 millions d’euros pour le FN. Là encore, on peut comprendre les intérêts bien compris : plus les mouvements antieuropéens prennent de l’ampleur au sein de l’Europe, plus Vladimir Poutine est content. Rien d’illégal à cela d’ailleurs, mais moralement et politiquement, comment peut-on se dire « patriote » à longueur de phrases et se faire financer par un pays étranger ? Quelle aurait été sa réaction si le parti Les Républicains était financé par les USA ? ou si le PS était financé par la Turquie ? Piètre patriotisme que celui de Marine Le Pen, donc. Rien à voir avec celui de Péguy.

Mais le voyage le plus intéressant pour ses éventuels électeurs fut en Égypte. Marine Le Pen était en effet au Caire du 28 au 31 mai 2015, très heureuse d’avoir été reçue par le général autocrate Abdel Fattah Al-Sissi qui sert de Président égyptien (élu avec un score très enviable…). Rappelons que ce dernier a fait un coup d’État pour destituer le Président sortant Mohamed Morsi, issu du courant islamiste, et que depuis deux ans, il est en train de faire la chasse à l’islamisme fondamentaliste. Une chasse très meurtrière. Des centaines de personnes ont été tuées très arbitrairement lors de certaines manifestations.

C’est sur ce point que Marine Le Pen a salué l’Égypte : « Le Président Al-Sissi est un des leaders qui a le message le plus clair à l’égard du fondamentalisme. (…) Nos choix au Front national sont clairs, soutenir les pays qui luttent contre le fondamentalisme, au premier rand desquels bien entendu l’Égypte et les Émirats Arabes Unis. » (conférence de presse du 31 mai 2015). Voici une clarté qui glace le sang. Le mien en tout cas.

Si l’on peut convenir que la lutte ferme et sans relâche contre le jihadisme est une nécessité qui ne peut pas être contestée, en particulier dans cette région du monde prise en sandwich par la Libye, l’Irak et la Syrie où le Daech sévit, on peut quand même s’inquiéter de la manière de faire. Surtout pour une responsable politique qui avait demandé de ne pas défiler dans les rues de Paris le 11 janvier 2015 pour montrer pourtant son opposition à ce jihadisme en France. Les contradictions ne semblent pas étouffer ce parti.

Rappelons en effet que Mohamed Morsi vient justement d’être condamné à mort (le 16 mai 2015) par une justice aux ordres du gouvernement, mais il n’est pas le seul et depuis plus d’un an, le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme proteste énergiquement contre les condamnations à mort collectives qui concernent des centaines de prisonniers sans s’être intéressé à la situation de chacun.

Rupert Colville, son porte-parole, avait notamment déclaré le 25 mars 2014 : « Le grand nombre de personnes condamnées à mort est tout à fait étonnant et cela n’a pas de précédent dans l’histoire récente. Imposer la peine de mort collectivement suite à un procès truffé d’irrégularités constitue une violation des normes internationales des droits de l’Homme. (…) Toutes les accusations sont liées aux événements du mois d’août 2013, après la déposition du gouvernement du Président Mohamed Morsi, donc plusieurs mois avant que les autorités égyptiennes aient qualifié la confrérie musulmane d’organisation illégale. Les accusations individuelles restent vagues puisqu’elles n’ont pas été précisées par le tribunal. (…) Les avocats de la défense affirment qu’ils n’ont pas eu un accès suffisant aux accusés et que le tribunal a refusé de prendre en compte les preuves qu’ils ont apportées. Selon des sources présentes lors du procès, il y a eu un certain nombre d’irrégularités, dont le fait que le président du tribunal n’a pas appelé chaque accusé par son nom, le fait que certains accusés en détention n’ont pas été transférés au tribunal ou encore que le président n’a pas demandé si les accusés étaient représentés par des avocats. (…) Il est particulièrement inquiétant qu’il y ait des milliers d’autres personnes détenues et accusées des mêmes chefs d’accusation. »(conférence de presse à Genève).

Je suis désolé de dire à madame Le Pen que c’est exactement ce que je ne veux pas voir dans mon beau pays qu’est la France, de condamner à mort aveuglément par centaines de personnes, sans même savoir réellement leurs responsabilités réelles, juste dans un souci d’affichage de fermeté. Faudrait-il « liquider » purement et simplement les environ deux mille jihadistes, parfois mineurs, identifiés en France que la future loi sur le renseignement n’empêchera de toute façon pas d’agir le moment venu ? Au risque de quelques erreurs ?

Mais tant mieux, cette clarification, c’est un bon moyen de comprendre le niveau d’acceptation de l’État de droit par ce parti qui, avec de telles idées, restent effectivement d’extrême droite par ses méthodes. Et aussi par ses traditions.

Ce n’est d’ailleurs pas étonnant, puisqu’il y a un an, au nom d’un nationalisme étriqué, Marine Le Pen avait fortement critiqué le principe même de la Convention européenne des droits de l’Homme qui, depuis près de soixante-cinq ans, apporte des protections juridiques supplémentaires aux droits fondamentaux des citoyens. Ceux qui critiquent une telle Convention qui les protège pourtant des abus éventuels d’un État arbitraire sombrent même dans un masochisme stérile qui les dessert. (Je mets cependant un bémol sur cette protection : celle-ci ne concernerait plus les personnes inconscientes depuis le 5 juin 2015 puisque la CEDH a validé la possibilité pour un État de réaliser un arrêt d’alimentation et d’hydratation pour une personne qui a un handicap lourd, incapable de se défendre elle-même, et qui n’est ni malade ni en fin de vie, et cela jusqu’à ce que la mort survienne).

En écoutant les propos de Marine Le Pen au Caire, on se dit finalement que tout reste bien cohérent. Arrivée au pouvoir, elle ferait du Sissi bis. Impératrice, peut-être pas, mais manipulatrice, sûrement. Les Français, dans leur longue tradition des libertés, pourraient-ils s’en satisfaire ?

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